由美 1. Regard

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C'était au printemps, au tout début de ma première année de lycée. Il faisait bon à l'époque et partout on pouvait voir des fleurs en éclosion. Ce jour-là, je regardais par la fenêtre de la classe les pétales de cerisiers virevolter dans les airs, absente. Forcés à quitter leur branche, ils s'élançaient dans un vol éphémère l'espace d'un instant. Ils descendaient tranquillement, se frayant un chemin vers la terre, parfois mouvementés par une bourrasque trop brusque. Certains déviaient alors de la masse et chutaient dans le petit étang du lycée avec disgrâce. Je les regardais tournoyer sur l'eau, surpris par ce « sol » qu'ils pensaient moins glissant. Ils n'avaient pas décidé d'eux-mêmes d'y atterrir, et pourtant ils étaient bien là. Pourquoi eux en particulier ? Qu'avaient-ils fait pour s'écarter ainsi des autres ? Le monde est fait d'incertitudes et de surprises, me disais-je, à l'image de ces pétales qui s'élancent sans savoir où ils finiront par se poser.

ー À quoi tu penses, Mimi ?

La voix de Tsubaki me sortit de ma rêverie. Les cours venaient de se terminer et chacun se mettait à vaquer à ses occupations : les clubs autour du bâtiment principal ouvraient leurs portes et on entendait déjà dehors les cris des élèves sur les terrains de sport.

ー Comment tu m'as appelée ? dis-je avec sidération.

ー Mimi ?

ー Mais ne le répète pas, idiote ! m'écriai-je, rouge de honte. Je t'ai déjà dit de ne plus m'appeler comme ça au lycée. Je ne veux pas trop attirer l'attention sur moi.

ー Pour ce qui est de rester discrète, c'est raté, observa Tsubaki avec un sourire. Presque tout le monde te connait et sait que tu es la fille du proviseur.

ー La faute à qui ? marmonnai-je.

Tsubaki s'amusa de me voir gênée et s'assit nonchalamment sur ma table. Elle suivit mon regard qui s'évadait par la fenêtre ; la cour était envahie d'élèves qui discutaient entre elles.

ー C'est étrange de ne voir aucun garçon, tu ne trouves pas ? me dit-elle. On va devoir mettre nos amourettes de côté pendant trois ans.

Tsubaki n'avait pas tort. Shimura était un lycée pour filles.

Depuis toute petite, je savais que je finirais par y entrer car il était dirigé par mon père. Mais à vrai dire, j'avais toujours redouté cet instant. Être la cible des regards et désignée comme la « fille du proviseur » sans arrêt ne m'enchantait guère... Cela faisait une semaine que Tsubaki et moi avions commencé les cours ici et je n'avais pas été trop embêtée pour l'instant. J'en étais plus qu'heureuse.

Shimura était un grand lycée, si bien que nous n'avions pas tardé à nous perdre dès le premier jour. Le bâtiment principal était composé de trois ailes : l'aile centrale était destinée aux premières années, l'aile nord aux secondes et l'aile sud aux troisièmes. Dehors on pouvait voir toutes sortes d'infrastructures, de terrains ou de locaux destinés aux clubs qui avaient l'air de s'épanouir ici. Mon père disait toujours qu'ils étaient la porte vers la vie en société et encourageait par conséquent leur création.

Les salles de classe, elles, étaient grandes et agréables ; nous avions de belles fenêtres qui donnaient sur l'extérieur. Quand mes yeux s'en détachèrent à cet instant, je remarquai que nos camarades étaient parties unes à unes après avoir fini de ranger leur table ; je décidai alors de suivre leur exemple.

ー On ferait mieux d'aller au bureau des élèves, déclarai-je à Tsubaki. Les filles vont avoir besoin de nous.

ー Pour jouer aux surveillantes dans les couloirs ? Non merci !

ー C'est à ça que tu t'es engagée en rejoignant le club, répliquai-je.

Tsubaki ajusta ses lunettes d'un air mystérieux et passa son bras autour de mes épaules. Comme pour me confier un secret, elle rapprocha ses lèvres de mon oreille.

Kimi no kiaiWhere stories live. Discover now