Souvenirs

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Il faisait beau ce jour là, trop.

J'étais assise dans le coin de la classe, regardant par la fenêtre, comme d'habitude. Je m'ennuyais, et comme à chaque fois que je m'ennuyais, dès que la sonnerie, qui annonçait la fin de la première heure de la journée, sonnait, je quittais le lycée pour ne revenir que le lendemain, et recommençais.


Avec mon sac de cours bien trop léger, je courrais dans les rues pour les retrouver au hangar abandonné. Ils étaient mes seuls amis, la plupart étaient au chômage, se prostituaient, ou travaillaient dans la drogue. J'étais la plus jeune du groupe, la seule à sécher bêtement les cours pour retrouver le réconfort dans l'alcool.

Certains s'étaient réfugiés dans la boisson après de douloureux traumatismes, et puis il y en avait d'autres comme moi, qui étaient tombés dessus par hasard, et dont l'ennui et la naïveté avaient suffi à créer une addiction.

Habituellement, après avoir rejoins le groupe, je buvais, fumais, puis rentrais toujours après 21h pour éviter toute confrontation avec mes parents. Ils savaient que je m'absentais de plus en plus au lycée, mais je les fuyais toujours pour qu'ils ne sachent pas ce que je faisais réellement... j'avais... et j'ai encore... terriblement honte.

Mais ce qui devait arriver, arriva. Ils ont compris ce que je faisais, mon état était de pire en pire, et le lycée ne me considérait même plus comme son élève.

Un soir, après m'être encore une fois noyée dans l'alcool, je voyais au seuil de la porte d'entrée, mon sac, avec quelques affaires et un peu d'argent. Je venais d'avoir 18 ans. Mes parents avaient décidé de me virer de la maison le jour de mon anniversaire. Légalement, jusqu'à ce que j'atteigne 25 ans j'aurais pu leur réclamer de l'argent pour subvenir à mes besoins et à mon logement, les traîner devant le juge....

Mais j'avais décidé de respecter leur choix, même si intérieurement, j'aurais tant voulu recevoir leur aide, leur crier, leur pleurer, que j'avais besoin d'aide.

Je me rappelle marcher dans la rue sans but, mon sac dans la main et une bouteille dans l'autre quand j'avais senti mon portable vibrer. J'avais lâché mon sac et répondu. C'était Anne, une amie addict, qui m'annonçait s'être faite violer par un autre membre du groupe. Je me rappelle de ses pleurs à l'autre bout du téléphone, ses cris, ses insultes, je me rappelle du bruit quand elle est tombée par terre puis quand elle s'est mise à frapper le sol puis son propre corps.

Je ne savais pas quoi dire, j'étais sous le choc, elle avait raccroché avant que je ne puisse dire quelque chose. Les secondes qui avaient suivi l'appel étaient interminables, soudainement mon cœur s'était serré, ma gorge me brûlait, ma vue s'était brouillée, et je m'étais mise à pleurer. La bouteille étant toujours dans ma main je l'avais soudainement jetée au sol de rage, j'avais attrapé mon sac puis m'étais mise à marcher à tout allure vers le hangar, débordante de larmes, tout en criant des insultes dont je ne me souviens même plus.

Puis je suis tombée sur Loki. J'étais remplie de colère, le visage rouge et trempé, le corps tendu presque
biscornu. Lui était là en face de moi, il ne pleurait pas, son teint était étrangement pâle, son corps était
lâche, comme si il n'avait aucun muscle... pourtant une tristesse aussi grande que la mienne semblait l'étouffer.

En voyant mon état, il avait ouvert grand les yeux puis m'avait demandé ce je faisais là. Le reste je ne m'en souviens plus. L'alcool ayant eu raison de moi, j'étais tombée, et quand je m'étais réveillée, il faisait nuit, et j'étais allongée sur le banc, ma tête posée sur ses jambes. Quand j'avais levé mon visage vers le sien, il avait souri, il m'avait demandé si j'allais mieux et où j'habitais pour qu'il puisse me ramener. J'avais dit que je n'avais plus de maison, que c'était mon cadeau d'anniversaire, et il avait rigolé tout en disant que lui aussi avait reçu son cadeau d'anniversaire, mais en avance. Je m'étais assise et lui avais posé la question. Il ne m'avait pas répondu tout de suite. Il avait regardé le sol quelques secondes comme si il devait se demander à lui même, ce qui s'était passé. Il avait remonté son T-shirt et la lumière de la lune a suffit pour que je reconnaisse les grosses tâches sombres sur son abdomen.

"Papa et maman ne veulent plus me voir parce que j'ai demandé un rencard au garçon qui a ensuite décidé de m'attoucher et de me battre."

La façon dont il l'avait dit semblait tellement ironique, mais la dure réalité de ses mots nous avait fait garder le silence pendant de longues minutes, fixant le sol et la lune.

À partir du lendemain matin, Loki et moi ne sommes jamais plus revenus au lycée, moi m'étant définitivement faite virer, et Loki voulant tout
simplement s'écarter de Toby le plus possible.

La suite s'est faite naturellement, sans trop de questions, comme si notre instinct de survie nous avait guidé, comme si nous nous donnions de la force sans vraiment s'en rendre compte, comme si notre vie, ces évènements qui n'était que tragédies, étaient faits pour que l'on se rencontre.

Non,

Je n'y crois pas, car après tout on est pas dans un putain de film, un roman à l'eau de rose. On s'est juste rencontrés au bon endroit au bon moment, et on a saisi cette chance, pour survivre, pour vivre.



Notre histoire n'est pas une Tragédie.Where stories live. Discover now