45 : Une dernière soirée

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Le tintement si singulier des chaînettes d'argent de Méturis ramenèrent leurs regards sur terre. Aux sempiternels fraise et chapeau du prestre s'ajoutaient cette fois-ci de riches épaulières plissées à la manière de deux petits escaliers. Des bords du vaste col jusqu'au haut de ses épaules étaient ainsi bâties des marches de tissu rigide, auxquelles pendait une somptueuse cape vermeille.

Sélénie arpentait d'une noble démarche ces escaliers cousus à sa taille en arborant un grand sourire qui réchauffait les cœurs. Maquillée et vêtue d'une élégante robe de soirée, elle semblait réellement être une princesse miniature dans son château ambulant.

« Y allons-nous ? » invita le prestre en désignant la grande porte de la salle commune.

Aliénor et Paulin acquiescèrent, un même sourire aux lèvres, et se rangèrent aux côtés du prestre apprêté. Il poussa les deux larges battants, invitant les airs enjouées des troubadours à leurs oreilles.
De jeunes gens dansaient de part et d'autre des deux longues tables de banquet couvertes de plats. Des moins jeunes bavardaient, ou bien battaient la mesure en tapant des pieds ou des mains. Quelques enfants couraient entre les chaises et sous les nappes en riant.

De l'autre côté de la salle, Messire Misères siégeait auprès de son brave Taylor, récitant ses habituels calembours. Le bourgmestre remarqua ses attendus convives, et se leva pour les accueillir, invitant par des grands gestes théâtraux l'orchestre à accueillir les héros comme il se devait.

« Et voici ainsi ces si acclamés sires et dames ! Iceux-ci, héros à qui la quête d'éradiquer les Cinq hérétiques hérita, méritent que l'on érige une statue sertie de toutes sortes de quartz éclatants à leur effigie, en remerciement aux risques encourus lors de leur rixe contre feu le tristement sinistre Ixikriss ! Quant à l'assaut de la ville de la vile Ovilath, j'ose espérer vive victoire et glorieux triomphe ! J'ai nommé : les héros et héroïnes à la dent de vouivre !

Les quatre convives restèrent sans voix, rendus muets par le flot intarissable de paroles du Messire et noyés sous un tonnerre d'applaudissement.

La Bourgade entière les acclama à l'unisson, tandis qu'ils et elles traversaient la grande salle, remerciant chaleureusement les hourras et vivas.

— Je sens que vous abhorrez mes indigestes logorrhées, les accueillit le bourgmestre au bout de leur périple.
— Asseyez-vous donc où qu'il vous sied, que nous commencions la mise en commun des indices épars percés à jour parmi les précieux parchemins du Cinq des Cinq.

— Ne vous arrêtez-vous donc jamais ? demanda Aliénor, au bord du fou rire.

— Jusqu'à ce que même les mots me manquent. » rétorqua-t-il en arborant son sourire de porcelaine et en désignant trois sièges de ses bras.

Les convives prirent place, ainsi que de quoi combler leur faim. Après avoir fait signe aux musiciens de reprendre, le Messire prit la parole en premier, laissant ses invités se sustenter avant leurs rapports respectifs.

« J'ai parcouru les notes personnelles du Dernier, étrange mélange de journal intime et de recueil de pensées. Ixikriss semblait subir d'un puissant complexe d'infériorité, du fait d'être Dernier de sa fratrie. Il enviait ses frères et sœurs, en particulier Varlok.

— Je le plaindrais presque, railla Aliénor, une coupe de bronze aux lèvres.

— Il n'est nulle raison de compatir, reprit le bourgmestre. Sa soif irrépressible et inextinguible de pouvoir et de reconnaissance est justement ce qui l'a poussé à mettre en scène ses divertissements malsains.

— Comme la destruction totale de villages ? s'enquit Paulin, le cœur lourd.

— Exactement. Nonobstant ce, les massacres d'innocents n'étaient souvent que de macabres incipits pour de bien plus funestes histoires. Il rédigeait à l'avance les grandes lignes des vies de quelques individus ciblés, se targuant d'être l'auteur du destin lui-même. Dans une histoire, pensait-il, l'auteur est l'équivalent d'un dieu. Et il semblait assez bien se complaire dans ce rôle divin.

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now