44 : Rebond

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La fée mutilée hocha la tête, méditant sur l'histoire du prestre.
« Merci, finit-elle par dire. Merci de t'être ouvert à moi.

Méturis, assis et les mains jointes, décida de poursuivre sa sincérité.
— Je me souviens encore de cette ancienne vie, en particulier ses deux derniers mois. Quand la glacechair a pleinement paralysé mon corps. Je ne me suis jamais senti aussi... inutile.
Le monde bougeait, évoluait, conversait, alors que moi-même, j'en étais incapable. J'étais devenu un simple témoin, un spectateur sans pouvoir dans un univers indifférent.
Je pouvais ordonner à mon corps de se lever, de trouver la force dans mon âme ou dans ma foi, rien n'y faisait. En mon âme se déchaînaient ma volonté de vivre, ma rage d'exister, et ce avec la puissance d'une tempête. Mais personne ne pouvait le savoir autre que moi.
Si j'étais effectivement mort, ce jour-ci... si Primum Ipsa n'avait pas décidé que mon heure n'était pas venue... Toute cette colère n'aurait effectivement servi à rien.
Alors Sélénie, voilà : je ne vais pas prétendre pouvoir comprendre ta peine, ni même avoir un jour ressenti ce que tu ressens en ce moment. Mais si tu as besoin d'en parler, je veux que tu saches que je suis prêt à t'écouter. D'accord ?

Sélénie hocha fébrilement la tête, avant d'éclater en larmes. Le prestre tendit sa main, et la fée s'y blottit sans flot tarir.
Méturis soupira.

— J'ai peur, avoua-t-il. J'ai peur que l'on ne puisse jamais détruire les Cinq, et que rien de ce que nous avons réalisé ne serve à qui que ce soit. J'ai peur que rien ne change jamais, et que l'on nous oublie pour toujours.

— Je ne peux plus vous aider, s'excusa la fée. En fait... je crois bien que je ne vous ai jamais aidé, au fond. Je n'ai pas la force ni les armes pour me battre, et je n'ai servi qu'à me mettre en danger et à vous faire courir des risques pour moi. Peut-être... peut-être que c'était ma faute, et que je le méritait...

— Non, l'interrompit aussitôt Méturis. Je pense, il est vrai, que certaines choses arrivent pour une raison qui nous dépasse. Mais ni les maladies ni les blessures n'en font partie, d'accord ?
Tu nous as sauvé, face au Dernier. Ses yeux, tu te souviens ? Tu nous as aidé, à Solitude, en nous guidant dans la pénombre. Et personne n'a le droit de te blâmer pour ce qu'Ixikriss t'a infligé, d'accord ?
C'est sur lui, et lui seul, qu'incombe l'entière responsabilité de ce qui t'est arrivé. Tu es victime, et en aucun cas responsable.

Sélénie resta muette un instant, mais remercia le prestre d'un sourire. Elle finit par se dire que c'était à son tour de consoler son ami.
— L'important, c'est qu'il soit mort, pas vrai ? Je vois difficilement comment on pourra oublier ça. Je veux dire : y'a un des Cinq qu'est mort ! Quand le monde saura, ça va lui donner tout l'espoir dont il a besoin. On a déjà changé le monde. Et on va le changer encore plus fort, bientôt.

Méturis mit un temps pour comprendre.
— Veux-tu dire que... tu viens avec nous ?

— Bien sûr ! Je ne vais tout de même pas vous laisser aller sauver le monde sans moi !

— C'est une mission suicide, Sélénie. Quand bien même Paulin exécuterait les Cinq, nous n'aurions aucune chance d'en ressortir vivants...

— Ce n'est pas grave. Tout ira bien pour moi tant que je serais avec vous. En vrai... je me sens beaucoup mieux auprès de vous qu'à Opale.

— Je t'apprécie aussi énormément, avoua Méturis en lui tendant sa main droite, paume vers le ciel. Te sens-tu prête à sortir ? »

Sélénie sentit un faible sourire rieur poindre à ses lèvres. Elle embarqua en grande pompe sur la plateforme que l'on lui tendait, qui la mena avec la même élégance jusqu'à sa luxurieuse loge.

Les deux compères sortirent ainsi du dispensaire du prestre, et se dirigèrent vers la place de l'hôtel de ville en saluant avec des révérences appuyées chacun des villageois qu'ils croisèrent.

Quand il et elle arrivèrent au lieu-dit, la Blanche des Hautes-Terres s'en repartait sur son cheval immaculé, et Messire Misères lui agitait encore son mouchoir.
Le bourgmestre eut le droit à la même mascarade cérémonieuse que les badauds, auquel il répondit avec un parfait naturel.

« Tous mes plus sincères regrets, présenta l'être masqué. Je ne peux imaginer la douleur de votre perte, Dame Sélénie.

— Je m'en remettrai, l'en excusa la fée, sur laquelle le rappel de réalité ne parvint pas à ébrécher la joie.
Qu'est-ce qui a été décidé ? s'impatienta-t-elle à la place.

— Vous attaquerez bien ce qui reste des Cinq en Ovilath, et ce, quand vous vous sentirez prêts et prêtes. Sire De Solitude et Dame Aliénor sont d'ores et déjà dans la salle de conseil de guerre. Pour ce qui est de la Légion, la Blanche négociera auprès de ses supérieurs pour défendre notre hameau. À présent, si vous me permettez de vous guider...

Le prestre et la fée acquiescèrent de bonne grâce, et suivirent le Messire. Durant le trajet, Sélénie demanda, curieuse.
— J'ai pas bien compris. Pourquoi des fois vous l'appelez Blanche, et des fois la Blanche ?

Le Messire pivota son buste vers la fée, sans pour autant ralentir sa marche.
— En Hautes-Terres, Blanche est tout à la fois un prénom et un titre. Et puisque ceux-ci apprécient ces facéties, toutes celles qui répondent à ce titre se nomment également ainsi. »

Après un moment, la relative compréhension de Sélénie fut marquée par un léger hochement de tête et une moue dubitative.

Messire Misères se retourna satisfait, et ouvrit les portes de la salle de conseil.

Un chaos de parchemins et de grimoires en tout genre avaient envahi celle-ci. Aliénor arpentait, frénétique, les piles de papier jauni, disposées en vrac dans les larges sacs de cuir qu'avaient transporté les wyvernes. Assis à la table-mappemonde, Paulin décryptait un rouleau déplié, son poing enfoncé dans sa joue et les paupières lourdes.
Le regard des deux compères se leva vers les arrivants. Des deux, seule Aliénor nota la présence de l'aspiole sur la fraise du prestre.

« Sélénie ! » s'écria-t-elle en quittant ses recherches effrénées pour aller à sa rencontre.
Paulin y rejeta un œil et se leva, penaud, rejoindre les autres.

— Comment allez-vous ? demanda la druidesse à la convalescente, celle-ci sautant de sa loge à la main de son porteur, puis de la main jusqu'à la table.

— Moyen, se décrivit la fée au centre des attentions, en s'étirant.
Le vol va beaucoup me manquer, mais je vais... pas trop mal. J'ai raté des trucs, sinon ? C'est quoi ces papiers ?

— Ça ? désigna Paulin. Ce sont les notes d'Ixikriss. Nous avons pris tout ce que nous pouvions avant de quitter Solitude. Il y a de tout : des résumés d'expériences, des croquis d'anatomie, même quelques pages de scénarii incomplets pour des histoires et des réflexions personnelles.

— Nous espérons y trouver des informations sur Ovilath, précisa Aliénor. Après tout, il s'y rendait à chaque Lune de Sang. Il doit bien y avoir quelques indices dans ce fatras...

La druidesse nota la moue de dégoût de la fée, et se reprit aussitôt, embarrassée.
— Lune Rouge, oui. Désolée. Dites-moi, Sélénie...

— Tutoie-moi, je te prie. C'est juste que la Lune de Sang est un terme qui rappelle de bien mauvais souvenirs aux fées. Mais vous pouvez pas savoir, c'est pas grave.

— Oh. D'accord.
Elle resta quelques temps peinée devant Sélénie, qui la dévisageait avec de grands yeux ronds.

— Comptes-tu nous accompagner en Ovilath ? demanda finalement la druidesse.

— Bien sûr ! affirma-t-elle en affichant un grand sourire. Il est hors de question que le monde soit sauvé sans moi ! »

Ainsi qu'il fut ÉcritOù les histoires vivent. Découvrez maintenant