45 : Une dernière soirée

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Le soir avait fini par tomber, et l'œil de Valin régnait au sein d'un ciel d'encre parsemé de nues de cendre.
Ils et elles avaient étudié, des heures durant, les manuscrits du Dernier. Leurs esprits réclamaient du repos, leurs corps criaient famine, mais le temps jouait contre eux.

Messire Misères était finalement parvenu à convaincre ses invités de se détacher de leurs études et de le rejoindre au banquet du souper. Elles et ils pourraient ainsi partager leurs découvertes, et penser ensemble à une stratégie d'attaque.
Après un détour par leurs chambres respectives pour un rapide brin de toilette et des tenues plus décontractées, tous se réunirent ainsi devant la salle de banquet.

L'air de la nuit était glacial. Paulin, premier arrivé sur le parvis de la porte, attendait ses compagnons, adossé contre le mur. Vêtu d'une chemise simple quoique distinguée et de braies ajustées, il maintenait nerveusement le manche de son épée en le caressant du pouce. Un groupe de quelques villageois traversa la grande porte, saluant sans reconnaître le héros arrivé à dos de vouivre de ce matin.

« J'aurais dû prendre ma hache, se moqua une voix à sa gauche.

La remarque tira Paulin hors de ses rêveries. Aliénor se tenait là, radieuse, dans une robe sans volume aux couleurs de l'aube. Le jeune homme bafouilla, confus. Elle était magnifique.

— Par rapport à votre épée, précisa Aliénor. Vous ne l'avez pas lâchée depuis... eh bien, depuis Carmin, je crois.

— Ah ? Peut-être bien, répondit-il, aussitôt replongé dans ses pensées.

— Je me suis toujours demandée, souffla-t-elle en posant son dos et son talon contre le mur, comment un simple berger a-t-il pu s'offrir une aussi belle lame ? Sans offense envers votre ancienne profession, bien sûr.

— Elle appartenait à mon père, lâcha-t-il simplement. Il est parti quand j'étais encore jeune, avant même que ne naisse ma sœur. Mère nous disait qu'un jour, il reviendrait, et que nous vivrions comme des princes. À la place, un jour, un soldat nous livra l'épée. Sans un message, sans même un mot.

— Oh. Je... je suis désolée, s'excusa Aliénor.

— Non, ce n'est rien. Je n'ai jamais porté mon père en haute estime : il n'a jamais été là, ni pour moi, ni pour mère. Et alors que nous vivions dans la misère, jamais elle ne vendit l'épée. Elle disait qu'il vivait avec nous, dans la lame.
Puis vint cette nuit-là...

— La nuit où le Dernier a... ?

Il hocha la tête.
— Je suis retourné au village, plus tard. Il n'en restait toujours que des cendres, desquelles j'ai trouvé l'épée. Je ne la garde pas en mémoire de mon père, cependant. J'espère juste que... que ma mère et ma sœur vivent à mes côtés. Dans la lame, comme pensait mère...

Les deux jeunes gens restèrent silencieux, la tête baissée vers leurs souvenirs lointains.

— Et vous, Aliénor ? demanda Paulin. Avez-vous un passé ?

La druidesse détourna aussitôt le regard.
— Je... je n'ai pas d'histoire, tenta-t-elle. Rien qui ne vaille la peine d'être raconté...

— Vous ne venez pas de nulle part, si ?

Se pinçant les lèvres, elle chercha ses mots.
— Disons simplement que j'ai échappé à mon père, très tôt. C'était... une sorte de monstre. Mais à présent, je sais qu'il est mort. Et le monde ne s'en portera que mieux.

— À ce point ? s'étonna Paulin.

— Oui. Croyez-moi, moins je m'attarderai sur lui, mieux ce sera. »

Aliénor détourna le regard vers les cieux étoilés, faisant comprendre qu'elle ne reviendrait pas sur ce sujet. Paulin se joignit en silence à la contemplation.
Le spectacle du firmament le berça, mais ne valait en rien les étoiles qui scintillaient dans les yeux de la druidesse.

Ainsi qu'il fut ÉcritWhere stories live. Discover now