Les mots s'écoulèrent de la bouche de la princesse telle une cascade indomptable, sans hésitation ni interruption.

La magicienne resta quelques minutes sans bouger, tête baissée, les yeux rivés sur le sol, comme si elle cherchait les mots justes, la vérité parfaite, ou les mensonges adéquats.

Puis elle se décida à répondre, monotone.

— Un jour, un roi, par fierté, en a décidé ainsi. Il y a dix-huit ans pour être exacte. Parce que sa présence sur le trône est purement fortuite, parce qu'il sait qu'il n'a pas sa place au sein de la famille royale, alors il court après les trophées qui montreront à tous qu'il est digne de porter l'or sur sa tête. Après de longues et vaines années de négociation acharnée, furieux de ne pas posséder mon pouvoir – me posséder – toute entière, il m'a infligé une ultime humiliation : devant son épouse et sa Cour, sous la menace, il m'a contrainte à offrir un don à sa fille. Offrir un don à la chair d'un monstre. Ce que je fis. Je lui ai offert le don le plus beau et le plus dangereux que puisse posséder une jeune fille : l'Innocence.

Ses mots glissèrent dans un murmure, avant de reprendre. Sa force était celle de l'eau pure qui jaillit des cascades juchées au sommet des montagnes.

— Mais j'ai imposé une condition à ce généreux don ; la princesse devra préserver cette innocence jusqu'à l'âge de ses dix-huit ans. Si elle échouait, ce don si précieux se transformerait en une malédiction. Je fus bannie du royaume et me réfugiai dans cette bâtisse austère, à mon image. À partir de ce jour, ce château en ruines devint mon tombeau. Ses ténèbres se mariaient parfaitement avec la noirceur de mes desseins. Pour protéger sa fille et son peuple, le roi fit écrire et publier des légendes me présentant comme une femme cruelle et sans cœur. Ces fables firent rapidement le tour du pays, et dépassèrent les frontières. Les contes de ma méchanceté franchirent même la Mer Tumultueuse et envahirent Galvin. Et aujourd'hui encore, ceux qui ne croient pas que je soie la déesse du Néant en personne me craignent encore plus qu'Elle. La Puissante Velmerys – aussi cynique soit-elle – est connue pour œuvrer dans le but de rétablir un certain équilibre pour l'humanité. Je n'ai cure de l'équilibre de l'humanité, et les gens le savent.

La bouche pourpre se déchira dans un sourire carnassier, laissant apparaitre des dents aussi coupantes que les mots.

— Oh, et ils le savent très bien ! Et je suis, contrairement à vos dieux, bien visible et bien audible. C'est la raison pour laquelle j'ai été, je suis, et je serai toujours Crudelis. La Magicienne Sans Cœur.

La princesse écoutait attentivement dans un silence révérencieux. Lorsque Saphira se tut, la courbe de ses sourcils blonds était légèrement tordue, ses yeux happés par le vide, elle ouvrait et fermait la bouche, l'air indécise.

— Attendez. La Magicienne Sans Cœur... C'est... réfléchit-elle à voix haute, pour nul autre qu'elle-même. Un roi, il y a dix-huit ans... Bannie du royaume. Ce serait... celui-ci ? Mais alors, vous... Oh.

Le rictus de Saphira s'agrandit encore.

Oh.

Les yeux de Juliette devenaient plus ronds que des billes.

Le sourire de la magicienne n'était plus qu'une bouche béante, prête à avaler le monde.

— Cette princesse, c'est moi ? chuchota Juliette.

La Magicienne Sans Cœur ne lui offrit pas la dignité d'une réponse.

— Vous m'avez maudite alors que je n'étais qu'un bébé ?

— Oui.

— Condamner un bébé... Mais c'est inhumain ! s'écria la princesse.

Elle décrivit un pas menaçant vers la magicienne, les poings serrés. Cette dernière ne se départit pas de son sourire dégoulinant de satisfaction.

La Magicienne Sans Cœur (GxG)Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ