XVIII. Écouter

361 37 0
                                    

Lorsque Juliette rouvrit les yeux, la fumée bleue se dissipait autour d'elle.

Les bras maigres et forts étaient toujours fermement ancrés autour de sa taille. Peu à peu, ils se relâchèrent et la libérèrent, à contre-cœur.

Protégées par l'écran de fumée évanescent, la princesse sourit à la magicienne. Et les lèvres pourpre se prirent au jeu.

Lorsque la fumée disparut, Juliette se trouva face à un long pont de bois suspendu au-dessus du vide noir. Les planches moisies semblaient incapables de soutenir même le poids d'un oiseau. La roche noire qui le maintenait accroché par des cordes des deux côtés paraissait tout aussi friable.

Du vide émanait une étrange vapeur sombre et nauséabonde.

Comme un appel.

De l'autre côté du pont, émergeant de la brume, la large silhouette du roi de Percée menant sa troupe de soldats de métal.

Le visage de ce dernier s'effaça derrière une moue enragée dès qu'il aperçut la Magicienne Sans Cœur. Il planta sa bannière au sol avec hargne. L'homme vêtu d'une armure argentée qui portait la bannière affublée d'une colombe, debout droit à quelques mètres de lui, lui lança un regard inquiet mais ne dit mot.

— Tu m'as bien berné, sorcière, vociféra Richard. Tu m'as promis que tu n'avais rien à voir avec la fuite de ma fille, et pourtant c'est bien chez toi qu'elle est retenue prisonnière. Et en plus de ça, tu l'empêches de remplir ses devoirs auprès de son époux et de son royaume. Je savais que je n'aurais pas dû te faire confiance ! Notre marché ne tient plus.

— Ah, mais je n'ai pas menti, clama Crudelis, sa voix portant loin au-dessus du vide et volant jusqu'aux troupes de l'autre côté. Sa fuite n'avait en effet rien à avoir avec moi, elle n'est pas de mon fait. C'est toi et toi seulement qui l'a provoquée.

Le regard noir du roi Richard coula un instant vers sa fille, mais ses paroles ne s'adressaient pas à elle.

— Que dis-tu ? Bien sûr que c'est de ta faute, c'est toi qui la retiens prisonnière !

— Je ne suis pas prisonnière.

Le roi de Percée se figea à l'écoute des mots, assurés et définitifs de sa fille unique.

— Juliette, mais enfin que dis-tu ? grogna le roi. Écoute, je ne sais pas bien quel sort t'a jeté cette sorcière. Je suis...

Sa voix se perdit dans un raclement de gorge peu élégant, mais il reprit rapidement, la gorge encombrée.

— ...Désolé. J'aurais dû te prévenir, t'avertir du danger. J'ai cru pouvoir t'en protéger sans jamais que tu n'aies à lui faire face. Ce n'était pas à toi de le faire. C'était de mon devoir et de celui du royaume que te protéger. Mais c'est fini maintenant. Je vais te ramener au château.

Une vague d'agitation dans son dos l'interrompit. Il jeta un regard en arrière. Des soldats recouverts d'une armure plus claire lui adressèrent quelques gestes mécontents. Il secoua les épaules d'un air agacé. Il reprit, la voix tendue.

— Je vais te ramener à ta nouvelle demeure, à la Maison des Miroirs, là où t'attend le prince Edouard. Nous avons décidé avec ta mère qu'elle viendrait avec toi. Ce sera mieux que ce qui était prévu à l'origine. De cette manière, elle pourra t'aider à prendre tes marques en Crystallide, tu ne seras pas seule et...

— Je vous remercie pour votre mansuétude, père, grinça Juliette, les bras croisés, mais je ne viendrai pas avec vous.

— Qu... Quoi ? Mais Juliette, voyons, c'est ton devoir ! Je te l'ai expliqué de nombreuses fois, tu dois...

La Magicienne Sans Cœur (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant