X. Sourire

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Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait pas adressé la parole à quelqu'un qu'elle se demandait si elle était encore capable de parler, si sa voix ne la trahirait pas au premier mot prononcé.

Elle ne savait comment sortir de ce néant. Auparavant, la présence de la femme qui la retenait prisonnière de ces murs parvenait à lui faire oublier sa solitude et son échec. Le désir d'apprendre, le plaisir de se rapprocher peu à peu des mystères qui avaient entouré son enfance. Mais ces réponses toutes plus énigmatiques les unes que les autres ne lui avaient été d'aucune utilité. Et ces questions obsédantes demeuraient.

Peut-être que si elle n'avait jamais rencontré cette femme, elle n'aurait obtenu aucune réponse.

Elle serait mariée et se serait tue, à jamais.

Comme sa mère, et comme sa grand-mère avant elle.

Comme toutes les femmes.

Mais peut-être également que si elle n'avait jamais rencontré cette femme, elle n'aurait pas de questions sans réponse qui tourbillonnaient dans son esprit.

Pas cette fièvre qui dévorait ses entrailles.

Plus les mois passaient, plus la princesse désespérait de revoir un jour la lumière du soleil et sa famille qui lui manquait malgré tout. Sa mère, qui semblait sculptée dans la plus fragile des argiles, faite de sourires fades et de regards inquiets. Son père et sa colère qui gangrénait le moindre de ses mots, mais qui la réchauffaient de sa passion désespérée.

Puis, il y avait cette femme.

La magicienne qui lui avait inspiré autant de frissons glacials que d'étincelles ardentes.

Sauveuse devenue tortionnaire.

Tortionnaire de ses mots, tortionnaire de ses silences.

Tortionnaire de son absence.

Une femme déloyale, sans aucun doute.

Elle avait promis, elle avait trahie.

Sans cœur.

Fidèle à la magicienne de légende.

Elle la maintenait prisonnière de son indifférence depuis presque deux ans désormais. Peut-être plus, peut-être moins, elle n'en était plus sûre. Elle ne savait plus rien, comme si tout le savoir que lui avait transmis la magicienne s'était envolé avec le temps qui s'écoulait, lentement mais sûrement.

À présent, elle était privée de tout contact avec le monde extérieur. Même son hôte, son dernier lien avec le monde au-delà des murs, refusait de lui rendre visite. Elle se sentait si petite face à cette femme aux pouvoirs immenses et indestructibles. Elle l'enviait de posséder tous ces moyens pour obtenir ce qu'elle voulait.

Elle rêverait d'en posséder ne serait-ce qu'un tiers...

Un dixième serait suffisant.

Suffisant pour apaiser cette fougue qu'elle ne sait plus oublier.

Cependant, elle devait le reconnaître, cette femme l'avait aussi aidée, malgré sa froideur et son insensibilité. Elle était venue la voir chaque jour, parfois même deux fois dans la même journée.

Elle se languissait de ces discussions qu'elles partageaient autrefois...

Ces regards indirects, dissimulés sous le velours, sous les ténèbres.

Non, Crudelis ne pouvait être une femme cruelle.

Pas entièrement et totalement cruelle, en tout cas, car nul ne l'était, n'est-ce pas ? Elle était capable d'éprouver des sentiments, Juliette en était intimement persuadée. L'empathie, elle en avait eu pour elle lorsqu'elle l'avait recueillie.

La Magicienne Sans Cœur (GxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant