Chapitre 7

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SACHA


Je ne cesse pas de la fixer, confortablement installé dans mon siège rembourré tandis qu'elle reste immobile dans sa cellule, tournée vers la porte, impassible.

Pourquoi ne hurle-t-elle pas ?

Pourquoi n'affiche-t-elle pas son désespoir, son horreur ?

Mes mains serrent les accoudoirs jusqu'à faire blanchir les jointures de mes doigts. Ma mâchoire est si contractée que j'ai l'impression que mes dents pourraient exploser sous la pression. Je suis presque certain que mes lancent les éclairs dont je voudrais la foudroyer sur les écrans.

Et elle ne dit toujours rien, comme si se perdre dans ce silence pouvait arranger sa situation. Sur l'écran principal, celui du milieu, le plus important, son visage me nargue comme si elle pouvait me voir, alors qu'elle ne regarde même pas dans la direction de la caméra infra-rouge qui me permet de la voir dans tous ses détails, malgré le noir dont elle est environnée. J'active le son pour me repaître des gémissements qui, je le sais, emplissent sa cellule. Comme si me déchirer les oreilles avec ces sons pitoyables pouvait la faire réagir à travers moi. Et même si c'était le cas, elle ne devrait dans ce cas ressentir que de la joie perverse, non ? Celle qui fait couler le sang dans mes veines en ce moment. Celle qui fait vivre l'être détestable que, j'en suis conscient, je suis devenu. Je ne peux que constater cette différence flagrante, jour après jour, entre les gens normaux et moi. Même le Leader de Paris, Christian Carren, ne diffuse pas une telle aura de mort autour de lui.

Je le sais, pour l'avoir rencontré le jour où je suis arrivé ici. Il était venu me rendre visite sur mon lit d'hôpital. Je me rappelle m'être demandé pourquoi c'était lui, lui un personnage si important et si crucial au Gouvernement, qui venait m'annoncer en personne la nouvelle. Je me rappelle m'être forcé à contenir mes larmes pour ne pas le décevoir comme je devais déjà l'avoir déçu. Je me rappelle avoir encaissé sans broncher. Je me rappelle avoir attendu son départ pour chasser brusquement les infirmières. Je me rappelle leurs regards de compassion retenue, mais surtout, de peur naissante. Je me rappelle leur terreur, les jours suivants, quand elles venaient prendre "soin" de moi. Mais je ne me rappelle pas mes cris de désespoir, parce que je n'ai jamais pu les pousser. Je ne me rappelle pas mes larmes : au final, elles ne sont jamais venues. Je ne me rappelle que cette haine, une haine qui n'a cessé de grandir depuis ce jour-là. Elle était déjà présente depuis bien longtemps, mais c'est à ce moment que je n'ai plus essayé de la garder en moi.

Comment peut-elle rester si stoïque après avoir commis toutes ces horreurs ? Elle est au moins aussi coupable que moi, son coeur est au moins aussi noir que le mien.

*

Je ne sais pas depuis combien je suis ainsi avachi dans mon fauteuil, les yeux irrémédiablement fixés sur l'écran, mais j'ai l'impression de ne pas avoir bougé depuis des heures au moins.

Alors, quand on toque doucement à la porte, je ne peux m'empêcher de sursauter.

Je me reprends rapidement.

Ma règle d'or a toujours été de ne jamais laisser transparaître mes faiblesses, même aux plus insignifiants de mes subordonnés, et c'est cette règle qui m'a permis de me hisser si haut jusqu'à aujourd'hui. Aussi haut que je peux encore me tenir. Je me racle douloureusement la gorge, jette un dernier coup d'oeil concentré sur les images : toutes représentent la même personne, le même endroit, simplement sous différents angles. Et sur toutes, on ne peut que constater son immobilité.
- Oui, je réponds d'une voix sèche, à laquelle j'insuffle également quelques accents de mépris et de lassitude.
La porte s'entrebaille.
- Monsieur, on vous demande en salle 1. La réunion... la réunion a déjà commencé depuis plusieurs minutes.
Je sens bien son hésitation. Il ne fait que transmettre un message, mais ça ne l'empêche pas d'avoir peur de ce reproche à peine voilé qu'il me fait, bien que par l'intermédiaire de son supérieur... qui est également le mien, dois-je me rappeler. La peur que je provoque ne cessera jamais de m'étonner. Il est vrai que j'ai gravi les échelons à force de cruauté, en faisant preuve de plus d'inflexibilité que n'importe qui, avec un air hautain aristocrate qui n'est en général pas la méthode la plus probée dans les Forces de Prévention, et encore moins dans la Division Française AntiO, la DFAO. Tous, sans exeption, préfèrent lécher les pieds de leurs supérieurs pour monter en grade. Moi, je n'ai jamais accepté de m'écraser devant qui que ce soit, et je sais bien que sans mon rang d'origine, j'aurais été reconverti depuis longtemps. Mais même les plus insignifiants rouages du Gouvernement politique sont bien au-dessus des plus hauts dirigeants de la DFAO.

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