PARTIE I - Chapitre 1

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ALEXY


L'eau coule à flots sur ma peau, et j'ai presque l'impression qu'elle réussit à me laver de mes péchés. De ma faute. De mon anomalie.

Je ne devrais pas exister. Je ne devrais pas être ici, je ne suis pas à ma place. Je n'arrive même pas à comprendre ce que je suis moi-même, alors comment le demander aux autres ? Comment leur révéler l'horreur de ce corps que je hais du plus profond de mon âme, avec ses formes, ses particularités que les autres n'ont pas. Qui suis-je ? Ou plutôt, que suis-je ? Je suis une erreur de la nature. Quelque chose qui n'a pas lieu d'être et qui pourtant a bravé les règles malgré tout pour survivre jusqu'ici. Nous sommes la seule et l'unique race sur Terre à ne pas posséder d'équivalent féminin. Dans ce monde peuplé uniquement d'hommes, pourtant, je suis là. J'existe. Je respire. Je vis.

Moi, la première, la dernière.

Moi, une.... ? Une quoi ? Une femelle ?

Je ne sais même pas quel nom mettre sur mon anomalie génétique. Je ne sais même pas comment j'ai pu sortir de la Maternité, ce lieu de machines qui remplacent ce que notre espèce n'a pas et lui permet de subsister, d'assurer l'existence de la génération suivante. Pourquoi n'ai-je pas été signalée ? Les robots sont-ils à ce point dépourvus d'intelligence, qu'ils n'ont même pas remarqué que je ne suis pas comme les autres ? Que mon corps est différent ? Pourquoi n'ai-je pas été enlevée pour être étudiée en laboratoire, reproduite, pour enfin résoudre le plus grand rêve de l'humanité, à savoir devenir autonomes pour créer nous-mêmes notre progéniture ? Je suis cet impossible que nos plus grands scientifiques tentent d'atteindre depuis des millénaires. Je suis la résolution de leurs équations les plus compliquées. Je suis leur x, leur y, ce qu'il y a de l'autre côté du égal.

Et par pur égoïsme, j'ai pris la décision, dès que j'ai été en capacité de penser, de réfléchir, que je ne devais pas laisser les autres découvrir mon secret. Pourquoi ? Peut-être parce que je n'ai pas envie de passer le reste de ma vie dans un laboratoire pour être étudiée sous toutes mes coûtures. Alors oui, je condamne notre espèce à chercher encore, sûrement pour des centaines d'années, la solution à l'équation. Je me hais. Je hais le choix qui s'impose à moi. Je hais de prendre le chemin le plus facile à chaque jour qui passe. Je hais de ne pas voir enfin la vérité en face, à savoir que l'anomalie que je représente n'a pas d'autre droit et pas d'autre avenir que de se livrer, les mains en l'air, aux Forces de Prévention, pour sauver ce que je peux sauver au lieu de rester ainsi cachée de tous, dans la peur et l'angoisse chaque jour plus intense que mon secret ne soit découvert. Ce n'est pas une vie. Je ne suis pas comme les autres. Et je cache mes difformités sous des vêtements amples, trop amples, et de prétendus tics nerveux qui me font passer pour une folle partout où je vais.

Je ne suis pas un homme.

Je ne sais pas ce que je suis, mais dans tous les cas, je ne suis pas un homme.Comment j'ai pu être créée dans la Maternité, comment j'ai pu ne pas être démasquée dès mon plus jeune âge, comment j'ai survécu jusqu'ici, ces questions restent le plus grand mystère de ma vie d'imposteuse. Mais avec les années, je pense avoir enfin accepté que je ne trouverai jamais les réponses que je cherche. De toute manière, à qui les demander ? Je me suis résolue à survivre ainsi jusqu'à ma mort, jusqu'à ce que l'anonymat m'emporte loin, très loin de ma peur panique d'accomplir enfin mon destin. Ca ne me dérange plus de me contenter de raidir les jambes et voûter le dos dès que je passe, contrainte et forcée par la vie qu'on m'impose indirectement, devant des patrouilles des Forces de Prévention. Du moins, j'essaye encore aujourd'hui de m'en convaincre, alors que l'eau chaude roule sur ma peau, mes cheveux bruns frisés et coupés le plus court possible, mon ventre plat et mon corps rendu squelettique par les années de privation dans l'espoir que cela suffirait à cacher mes formes. 

You're the LastOù les histoires vivent. Découvrez maintenant