Partie 2

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Lorsque je me réveillai, je me sentais parfaitement reposée. Ibis ronflait toujours, assoupie sur l'étagère.

Je me levai et me regardai dans le miroir accroché derrière la porte close.

Mes yeux gris perçants brillaient dans la semi-obscurité de la chambre. Je souris à mon reflet et nouai mes longs cheveux bruns en une queue de cheval. Je troquai ensuite le pull avec lequel je m'était endormie contre une chemise noire et un jean.

Quelqu'un toqua soudain à la porte. La tête blonde d'Aphrodite apparut pas l'entrebâillement.

— Tu es réveillée ? Dépêche-toi ! Zeus est en direct sur OlympeFM ! Il va parler !

Je suivis la déesse de la beauté dans le couloir, miraculeusement déblayé. Le petit salon, nettoyé lui aussi, était occupé par Héphaïstos, assis sur le canapé, Arès, debout, les bras croisés, et trois énormes chiens noirs, allongés sur le tapis.

Aphrodite s'assit à l'opposé d'Héphaïstos et je m'installai entre eux, à distance respectueuse du trio canin.

Le jingle de la fin de la publicité retentit. Apollon apparut à l'écran, en costume sombre et chemise blanche. Ses cheveux blonds étaient plaqués en arrière et ses grands yeux dorés d'habitude pétillants de malice exprimaient aujourd'hui la gravité.

— ... Mesdames, messieurs, vous êtes toujours en direct d'OlympeFM, et sans attendre, je cède la parole à Zeus, qui va nous annoncer, heu... Eh bien, ce qu'il a à dire.

Héphaïstos ricana.

— Et ça se prétend dieu de la poésie !

Je lui donnai un coup de coude et il se tut. Le visage grave de Zeus s'afficha alors sur la télé. Ses yeux bleu électrique et ses cheveux poivre et sel lui donnaient bien mille ans de plus.

— Ça tourne ? demanda-t-il, hésitant. Ok. Heu...

La caméra piqua soudain du nez, zoomant sur le nœud papillon du roi des dieux.

— Ulysse ! chuchota-t-il avec la discrétion d'un éléphant sur la pointe des pieds. Recadre moi ça tout de suite !!!

Sa tête réapparut à l'écran.

— Hum hum... (il fusilla du regard une personne en dehors du cadre) Chers dieux. Chères déesses. J'ai une mauvaise nouvelle pour vous. Héra a attrapé le maudit virus des mortels. Elle est clouée au lit avec 172°C de fièvre. Ce n'est pas très grave, mais très contagieux (tousse) et très désagréable. C'est pourquoi j'ai décrété le confinement total à partir de...

Il consulta sa montre en bronze. Bip !

— ... maintenant !

Il fit une pause pour laisser sa déclaration faire son effet. Héphaïstos se claqua le front, Aphrodite poussa un petit cri de surprise et Arès jura. Il ne parlait pas de lombric, cette fois. Moi, je ne bougeai pas d'un pouce, stupéfiée. Zeus reprit :

— Il vous est désormais interdit de sortir de vos cachettes respectives. Je me suis assuré qu'aucun de vous ne soit seul, afin que vous ne vous ennuyiez pas trop. Pour ce qui est du ravitaillement, les venti d'Hermès Express vous livreront chaque matin vos rations de nectar et d'ambroisie. Fin de la transmission.

Il cligna des yeux et se leva. Apollon, qui paraissait un peu gêné, lui chuchota :

— Heu, Zeus ? Ce n'est pas encore fini. La caméra tourne toujours.

Le roi des dieux s'immobilisa et ses joues rosirent un peu.

— Ah, hum... D'accord. Je vais partir, heu, par là, fit-il en pointant le doigt vers la gauche. Au revoir.

Apollon pinça les lèvres, tentant de réprimer son fou-rire pendant que Zeus filait – à droite.

— Okay... Donc... On continue tout de suite avec un passionnant reportage sur les pangolins...

Arès coupa le son de la télé. Aphrodite se rongeait les ongles et son mari forgeron regardait fixement un paquet de chips solitaire, perdu dans ses pensées. Je pris une grande inspiration et souris courageusement.

— Bon... On fait un Scrabble ? proposai-je dans une tentative maladroite pour détendre l'atmosphère.

Aphrodite secoua furieusement la tête, remuant ses boucles blondes dans tous les sens, et se rua dans sa chambre. Arès enfonça ses écouteurs dans ses oreilles et se mit à écouter du death métal en s'enfonçant dans un gros fauteuil gris aux ressorts apparents. Héphaïstos s'empara de la télécommande et zappa sur National Geographic.

— D'accord... soupirai-je. Quelqu'un veut des crêpes ?

Pas de réponse.

— Ok. Bien. Si c'est comme ça, il n'y en aura que pour moi, bougonnai-je.

Je me rendis dans la petite cuisine en tapant des pieds et attrapai un bol, un fouet et une poêle. Je cassai quelques œufs, versai du lait, du sucre, de la farine, du beurre... Puis j'ajoutai l'ingrédient secret d'une recette de grand-mère que j'avais lue quelque part : du rhum. Rien de tel pour sublimer le goût des crêpes.

Je les fis ensuite sauter, avec plus ou moins de succès. Seules deux crêpes finirent par terre. Et une au plafond.

Je m'assis ensuite à la minuscule table de la cuisine pour déguster mon petit-déjeuner. Tout en mâchant, je sortis mon IPhone pour consulter mes messages. Rien.

Artemis avait posté une vidéo dans sa story Instagram. La déesse de la chasse et son frère, Apollon, passaient leur quarantaine avec leur mère sur leur île natale, Délos. Les veinards ! Confinés sur une île paradisiaque et inhabitée avec Maman Leto, la reine des cookies ! Vraiment, c'était injuste.

La vidéo d'Artemis était géniale. On la voyait, elle et son frère, surfer sur des dauphins au large de Délos. Les longs cheveux noirs d'Artemis flottaient au vent et la tête blonde d'Apollon brillait au soleil. Ils riaient tous les deux aux éclats.

Je soupirai. Je checkai ensuite les comptes Instagram des autres déesses pour voir ce qu'elles faisaient de ces vacances forcées.

Demeter et Perséphone, qui revenait tout juste des Enfers, s'amusaient à leur maison de campagne. Hestia était en camping avec ses amies dryades. Les feus de camps, ça, elle gérait. Amphitrite et Poséidon rendaient une visite prolongée à Tonton Océanos et Niké se rejouait la dernière coupe du monde de football dans son salon, avec ses sœurs Bia et Zélos. Son autre sœur, Kratos préférait le rugby.

Je me sentis soudain stupide. Alors que mes amies s'amusaient, moi, Athéna, la déesse de la sagesse, faisais des crêpes dans un bunker souterrain, perdu dans une forêt elle-même perdue au beau milieu de nulle part dans un pays dont le nom comportait plus de consonnes qu'il n'y en a dans l'alphabet.

J'éteignis mon téléphone et mangeai mes crêpes.

— Stupide...

***

Olympe : Confinés [Mon devoir de latin]Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt