Partie 1

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— Mais Zeus... Je suis vraiment obligée ?

— Oui.

— S'il-te-plaît...

— Non.

— Je dois rester 30 jours avec eux ??!

— Oui.

— Et je ne peux pas rentrer à l'Olympe ?

— Non.

— Mon papounet d'amour, je t'en prie...

— Non !

Je raccrochai furieusement.

Zeus avait annoncé la veille au soir, en direct de OlympeFM, que tous les dieux - tous, sans exception - seraient confinés pendant un mois et demi.

Même moi, Athéna, la déesse de la sagesse.

Enfin, je ne risquais tout de même pas d'attraper ce fichu virus ! J'étais une déesse ! Au pire, je souffrirais quelques jours d'une petite fièvre, mais je ne courais aucun danger de mort.

En soi, le confinement était plutôt sympa. Cela signifiait presque sept semaines sans les mauvaises blagues d'Apollon, les babillages incessants d'Héra et les sardines trop cuites que Poséidon nous cuisinait le samedi soir.

Mais je ne m'attendais pas à me retrouver enfermée dans un bunker sombre avec le triangle amoureux d'Arès, Aphrodite et Héphaïstos.

Je m'entendais plutôt bien avec ce dernier, mais Arès passait son temps à crier devant la télé en faisant exploser des trucs à Call of Duty et Aphrodite s'amusait à me courir après avec une pallette de maquillage.

— Tu es sûre que tu ne veux pas un peu de mascara ? disait-elle en agitant un tube de rouge à lèvres. J'ai aussi un blush qui sublimerait merveilleusement ton teint.

Je m'étais donc enfermée dans les toilettes du bunker souterrain d'Arès - très mal entretenues d'ailleurs - et  j'avais appelé mon père, Zeus, avec le nouvel IPhone qu'il m'avait offert à mon anniversaire. Cela avait donné le résultat que vous savez.

Cela faisait maintenant un jour que j'étais confinée avec le forgeron et les deux autres zigotos. C'était intenable !

Jamais, même lorsque je grandissais à l'intérieur du crâne de Zeus, je ne m'étais sentie autant à l'étroit.

Le salon était enseveli sous les paquets de chips d'Arès, qui jouait en ligne avec Apollon et Hermès. Ces deux-là avaient également été interdits de sortie, alors même que l'un était le dieu des messagers et des voyageurs, et l'autre le conducteur du char du Soleil. Dur à exercer en télé-travail, comme métier !

Chaque fois que son avatar se faisait tuer, Arès se mettait à crier en lançant rageusement les manettes de sa PS4 sur le sol de béton gris, recouvert d'emballages plastiques et de miettes de chips.

Aphrodite, qui avait ramené son ordinateur portable dans le bunker, partageait son temps entre me courir derrière avec son fard à paupières et discuter sur Skype avec Perséphone et Héra.

Héphaïstos, quand à lui, avait installé un atelier dans le garage à char d'assaut d'Arès. C'était une immense pièce, capable de contenir... ben, euh, deux ou trois chars d'assaut.
Le dieu de la guerre les avait débarrassés pour l'occasion, offrant un large espace de travail au dieu du feu. Héphaïstos martelait son enclume à toutes heures. Bang ! Bang ! Bang ! Le bruit était infernal, si bien que, lorsque nous devions entrer dans l'atelier, nous autres devions nous munir de casques anti-bruit.

Moi, je n'avait pas assez de WiFi pour me connecter à Skype et parler avec mes amies, Artemis et Niké. Je n'avais pas non plus le don inné d'Hephaistos pour la métallurgie, ni la passion d'Arès pour les jeux de guerre violents.

Mais j'avais apporté tout un tas de nouveaux ouvrages offerts par Istya, la déesse du savoir et de la connaissance. Parmi eux, il y avait quelques encyclopédies, un livre sur les dieux romains et un bouquin très intéressant, abordant la notion de la physique quantique...

***

Je sortis des toilettes, fourrant mon téléphone dans la poche ventrale de mon pull blanc. J'empruntai le couloir bétonné qui menait au salon.

Arès beuglait devant son jeu, mitraillant un certain @pecorino84 - sûrement un autre pauvre joueur qui n'avait rien demandé - en criant :

— Meurs, lumbrice !!!

Je n'étais pas sûre qu'insulter des gens en les traitant de ver de terre n'améliore les capacités intellectuelles du dieu de la guerre.

— Tu parles latin maintenant ? demandai-je.

.

— Et espagnol. Manquait plus que ça. Tu comptes te mettre à l'ourdou bientôt ?

— Pourquoi pas ?

J'attrapai du bout des doigts un reste de kebab qui traînait sur le canapé et l'agitai devant les yeux d'Arès.

— Hé ! Ho ! Tu ne devrais pas... Je ne sais pas, ranger un peu ?

Arès leva les yeux au ciel.

— Roooh... allez Athéna. Il n'y a pas de quoi faire la tête. C'est cool, on n'a ni mortel insignifiants qui implorent notre aide, ni père énervant qui donne des ordres.

Un éclair retentit au dessus de nous et le bruit du tonnerre traversa l'épaisse couche de terre qui nous séparait du monde extérieur.

— Hum... Ok, Papa est encore là, mais on n'a aucun taff à faire et on peut se déteeeeendre. Carpe diem, sœurette.

Je ricanai.

— Ah oui ? Et comment je fais ? On est à vingt mètres sous la surface de la terre. Il n'y a pas de soleil.

Arès parut méditer la question.

— Ouais... Tu n'as qu'à sourire... au plafond alors ?

Et il se remit à injurier outrageusement @pecorino84 qui, dans un accès de témérité, venait de lui tirer dessus.

Je soupirai. Mon demi-frère était... Non, en fait il n'existait pas de mots pour décrire la débilité d'Arès. Je traversai le couloir qui menait aux chambres, enjambant les sacs plastiques à moitié vides et les cadavres de paquets de chips. J'ouvris ma porte à la volée, la claquai et m'effondrai sur le lit. Je m'adressai à Ibis, ma chouette apprivoisée, perchée sur l'étagère.

— Je n'en peux plus. Trois jours et je suis déjà à bout. Ils sont tellement... fatiguants.

Ibis ne répondit pas. L'oiseau produisait un petit son bizarre, presque comme un moteur. Un ronflement. Malgré les coups de marteau, les injures, les mitraillements et les bavardages des autres dieux, la chouette dormait toujours.

Je fixai le plafond. Je m'ennuyais déjà. Je souris au néon qui clignotait.

Carpe diem, ma grande. Quarante-cinq jours. Ça va le faire.

***

Olympe : Confinés [Mon devoir de latin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant