Chapitre 11. [1/2]

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Du haut de la mezzanine, l'imposante silhouette d'un homme s'échappa du couloir. Dans l'ombre, elle semblait aussi haute que robuste. La lumière vacillante des chandeliers du mur ne tarda guère à éclairer sa chemise blanche dont le dernier bouton n'était pas fermé. Même s'il avait été tiré de son sommeil, les épais cheveux bruns qui retombaient à sa nuque n'en restaient pas moins peignés ; aucun épi ne défaisait son carré lisse. Sur les côtés de ses yeux plissés, des débuts de patte d'oie marquaient son regard froid — un air davantage accentué par l'élégante et touffue barbe taillée qui encadrait son visage.

Ses traits durs détonaient de son allure naturellement soignée et cela ne le rendait que plus intimidant. Il possédait une stature digne des hommes de son rang ; celle des leaders dont la crainte des sujets du royaume n'égalait que le respect qu'ils leur portaient.

Stupéfaite, Alix se figea.

Cet homme, elle l'avait croisé à plusieurs reprises par le passé. Quand elle ignorait encore l'existence du monde d'Oranëa ; qu'elle arpentait les rues, sur la terre des bannis ; elle l'avait déjà surpris à la suivre. Vêtu à la mode de Lothälann, il avait laissé songer Alix qu'il n'était qu'un demeuré parmi tant d'autres. D'ailleurs, elle avait fini par redouter ses filatures ; le simple fait de l'apercevoir à un carrefour la mettait mal à l'aise, craignant que ce soit un pervers dangereux. Elle n'avait pas tort : quel genre d'homme de quarante-cinq ans se serait amusée à suivre une gamine inconnue, dans un monde tel que celui où elle avait grandi ?

Les quelques fois où il s'était approché un peu trop près d'elle, Alix avait eu le réflexe de fuir. Elle avait senti quelque chose de différent chez lui. De dérangeant. Une aura ; une étrange sensation qu'elle parvenait à identifier comme l'énergie magique qui émanait naturellement de son être.

Il n'avait pas remarqué la présence de l'adolescente. Les paupières mi-closes, il se dirigea vers l'escalier avant de passer sa main devant sa bouche. La fatigue lui arracha un bâillement. Encore ensuqué, il se frotta le visage en demandant, d'une voix rauque :

« Eh bien, Ayden... Que me vaut la surprise d'une visite si tardive ? Cela ne pouvait-il donc pas attendre demain ? »

Avant qu'Ayden n'ait le temps de rétorquer quoi que ce soit, Alekseï laissa glisser ses doigts sur l'arrête de son nez puis ouvrit les yeux. Du haut des escaliers, il examina le vestibule d'un regard inquisiteur puis s'arrêta brutalement sur Alix.

À mesure qu'il pâlissait, ses traits se décomposaient. Peu à peu, ses iris aux éclats noisette se laissaient submerger par des larmes dont il peinait déjà à retenir les flots. Et, même s'il s'efforçait de tout mettre en œuvre afin de garder un visage de marbre, ses lèvres tressaillant trahissaient son émotion.

Alix demeurait silencieuse ; aucun mot n'aurait pu suffire à exprimer ce qu'elle ressentait à l'instant. De l'inquiétude ? De la terreur ? De la joie, ou encore de l'appréhension ? Elle n'en savait rien.

Elle avait laissé son regard se perdre et se noyer dans celui de son père. Elle n'y décelait aucune once d'hostilité portée à son égard ; pas de colère, juste de la tristesse ou peut-être de la déception. Pourtant, elle ne parvenait pas à baisser sa garde. Son esprit avait fini par le haïr, à force de le croire coupable de la mort des siens. Et, même si elle le savait innocent, elle était persuadée qu'il était dangereux.

Alix sentit les doigts d'Ayden se resserrer par-dessus les siens. Sans un mot, il lui rappelait sa présence ; qu'il était là, pour elle. Elle ne parvenait pas à lui offrir une œillade — trop obnubilée par le seigneur qui se dressait en haut des marches — mais son contact la rassurait.

Ayden jaugeait la situation. Tel un tigre protégeant les siens, il était prêt à bondir pour défendre sa cousine. Il savait, pourtant, qu'il n'aurait pas eu une seule chance face à son oncle. Alix était devenue la personne la plus importante à ses yeux, et, pour elle, il pourrait à sacrifier jusqu'à sa propre vie.

Dathräkins [EN PAUSE.]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant