12.3. Affaire de famille - De l'art de commérer sans cesse

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L'esprit d'Aaron avait déjà saisi toutes les subtilités, peut-être dès que la main avait saisi le trésor dissimulé. Pourtant, à cette seconde, la joie féroce ne s'empara pas de lui, et le jeune homme reposa le cahier d'un air fatigué. Il avait compris.


Le temps joua en sa faveur tant qu'il resta dans le bureau silencieux. Mais dès qu'il posa un pied dehors, il fut happé par les aiguilles affolées de l'horloge et n'eut que le temps d'échanger un regard avec Anne. Celle-ci ne vit que le nuage noir qui assombrissait les yeux énigmatiques, et imagina aussitôt le pire. Il n'avait rien trouvé, se répéta-t-elle tout le long de la soirée – et elle tenta de se convaincre que c'était pour le mieux. Son père avait tourné la page, et sûrement devait-elle faire de même. Pourtant, ce mystère tourna dans sa tête avec obstination ; elle-même ne pensait qu'à cette Clémence qui s'était révélée être sa mère. Et son frère, où était-il ?

— Anne, il va me falloir une réponse, marmonna Héloïse d'un air narquois.

— Comment ?

Elle avait oublié la présence de son amie dans sa petite chambre où elle avait trouvé refuge en cette fin d'après-midi. A coup sûr, elle devait s'imaginer qu'elle songeait à un homme – et elle n'avait aucune difficulté pour deviner le nom qui trottait sur sa langue.

— Je vous disais que nous allions avoir besoin de deux personnes pour nous soutenir à la naissance du bébé. Albéric a déjà choisi son meilleur ami, mais...

Elle renonça à épaissir davantage le mystère lorsqu'elle vit la tête d'Anne et soupira.

— Anne, ma très chère, je voudrais que vous soyez la marraine de notre enfant. Albéric le souhaiterait aussi.

La jeune demoiselle d'honneur ouvrit grand la bouche. Elle, marraine ? A même pas vingt ans ? De suite, l'image de la comtesse de Ségur lui vint, et elle rosit. Elle serait une marraine aussi bonne qu'elle, se promit-elle dans un élan d'enthousiasme juvénile.

— Je crois ne pas avoir besoin d'un oui clair, railla Héloïse. Votre air ahuri me suffit.

— Mademoiselle Baraguey d'Hilliers.

Elle fut sur pied en un rien de temps. La duchesse Colonna-Walewski était devant elle, l'air froid et la mine hautaine. Depuis qu'elle les avait surpris dans le vestibule du rez-de-cour du palais, la première dame d'honneur semblait chercher la querelle à son encontre, et elle se raisonnait sans cesse pour ne pas perdre son calme. Là, poings serrés et lèvres pincées, elle écouta les récriminations de la duchesse à propos d'un rideau mal tiré. Elle se garda bien de rétorquer que ce n'était pas son affaire et murmura de plates excuses.

— Et maintenant, mademoiselle, je souhaiterais que vous vous rappeliez votre charge ici, au palais. La marquise de La Tour-Maubourg n'a pas à pallier vos défaillances.

Anne marmonna un « oui, madame » qui suffit à satisfaire la duchesse. Dans une envolée de satin soyeux, l'acariâtre disparut de la chambre et Héloïse soupira.

— Anne, ma chère, vous ne devriez pas vous laisser ainsi marcher sur les pieds.

— Que voulez-vous que je fasse ? Je ne suis qu'une modeste demoiselle d'honneur, vouée à être sous-lectrice à l'origine, et simple sous-lectrice.

— Mais enfin, elle vous cherche noise depuis un mois ! Vous devriez vous plaindre à la marquise. Elle vous défendra.

— Elle ne pourra rien faire, la duchesse est bien trop importante. Elle a été l'une des confidentes de l'impératrice.

Dans l'ombre du Second EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant