6. Une confiance aveugle

651 93 44
                                    

Pardon pour l'absence, la rentrée est chargée, et je replonge peu à peu dans les corrections de La Gouvernante de 1914. Mais voici le chapitre !

Début octobre 1867

Anne refit son lit, l'œil sombre. Aaron Niel était parti depuis quinze jours, et elle n'avait aucune nouvelle. Elle commençait à penser qu'il ne reviendrait pas tant qu'elle resterait au palais. Cette peur l'empêchait de dormir, et son air pâlot suscitait l'inquiétude de l'impératrice qui s'attachait chaque jour un peu plus à sa sous-lectrice.

— Anne ! Anne, vous devez me suivre ! s'écria Héloïse d'un cri aigu, tandis que la porte claquait avec violence contre le mur.

— Pourquoi ? Qu'y a-t-il ?

— Ce serait trop compliqué à expliquer. Venez, venez vite !

Elle attrapa ses jupes d'un geste, courut aussi vite que possible vers l'escalier qui serpentait jusqu'à l'étage en-dessous ; mais Héloïse ne ralentit pas, et descendit sous terre. Là, à l'entrée d'un boyau sombre qui semblait avaler toute lumière, Appolonie-Valonette de Valon et Angèle Marion, les deux autres demoiselles d'honneur, attendaient, une lanterne graisseuse et un plateau garni dans les mains.

— Que se passe-t-il ? haleta la jeune fille, essoufflée de leur course tout le long du palais.

Appolonie-Valonette lui tendit la lanterne sans un mot, et Héloïse enchaîna :

— C'est à vous de descendre dans les cachots des Tuileries pour apporter son dîner au geôlier.

— Attendez... pardon ?

— Ici, la police impériale garde les prisonniers les plus importants, ceux qui n'ont pas révélé tout ce qu'ils savaient.

— Mais comment le savez-vous ?

— C'est Albéric de Bellegarde, le soldat des cent-gardes que connaît si bien Héloïse, persifla Appolonie-Valonette, qui le lui a confié.

Héloïse rougit et fusilla son amie du regard. Depuis l'annonce officielle de son mariage il y a trois jours, Appolonie-Valonette ne quittait plus ce ton dédaigneusement condescendant ; la demoiselle, boursouflée de son importance, parlait sans cesse de son promis autant que du nombre d'invités qui se presseraient à la cathédrale Saint-Louis, à Versailles. Mais surtout, elle montrait depuis un mois environ une animosité féroce envers Héloïse, sans que les deux ne veuillent expliquer pourquoi. Anne leva les yeux au ciel sans même tenter de dissimuler son agacement, et se tourna vers Héloïse qui ne pipait mot.

— Et pourquoi sommes-nous ici ? Je ne comprends pas.

— C'est facile : le geôlier garde ces détenus depuis au moins trente ans, et la naissance du Second Empire n'a rien bouleversé ici-bas. Nous allons instaurer une petite tradition qui durera autant que le règne de Napoléon III et son fils. Voici la lanterne. Prenez le plateau et suivez le chemin, il vous mènera droit au gardien.

— Mais je ne veux pas m'aventurer là-dedans ! protesta Anne avec l'énergie de la bête acculée.

— Vous n'avez pas le choix, répliqua Appolonie-Valonette d'un ton glacial. Vous êtes la nouvelle venue, vous devez vous plier aux règles que l'on vous impose.

Elle eut un regard suppliant envers Héloïse, qui baissa la tête ; envers Angèle Marion, qui secoua la tête.

— L'a... l'avez-vous déjà vu, au moins ? demanda-t-elle, secouée de tremblements.

— Jamais. Il paraît qu'il est énorme, et chauve, et qu'il a des sourcils aussi noirs que son passé. Il aurait tué des centaines de gens avant d'expier ses péchés en gardant les plus grands criminels de France.

Dans l'ombre du Second EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant