Chapitre 8 : Do

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Luka s'était éveillé péniblement ce matin-là. Il n'avait que trop peu dormi, et bien trop mal, pour affronter un lundi de lycée. De là lui venait d'immenses cercles noirs autour des yeux et une grande lourdeur dans le moindre de ses mouvements, même les plus triviaux, qu'il faisait en soupirant longuement, comme pour essayer d'extraire la fatigue de son corps. Ce sommeil chargé d'angoisses et peuplé de cauchemars le privait aussi d'appétit, et sur la table de petit-déjeuner préparée par Juleka, rien n'avait pu passer la porte infranchissable que constituait les lèvres immobiles de Luka. Le jeune homme s'était enfermé dans un de ces silences durs et mornes que les adolescents connaissent bien, puisque c'est de cette manière-là qu'ils expriment le mieux toute la tristesse qui les habitent : lorsqu'on trouve le monde injuste, violent et bruyant, on le montre en scellant sa langue d'un air sombre.

Elle ne s'était déliée que lorsque, tout à l'heure, il avait dû s'arrêter devant le collège afin de restituer le porte-bonheur oublié d'Adrien. Il avait tâché de faire bonne figure devant son cadet. Ensuite, il avait continué sa route jusqu'au lycée où le premier cours, bien lent et calme comme il le faut pour un cours d'économie, n'avait pourtant donné aucun sommeil à Luka. A la place, il avait passé une heure dans un état très désagréable, c'est-à-dire baigné dans une espèce de léthargie douloureuse qui le maintenait éveillé par souffrance, et qui le protégeait de toute tentative d'échappement par Morphée.

Peu après, peut-être par chance ou par justice, comme le pensait Luka, on leur avait annoncé un professeur absent qui leur offrait de rentrer chez eux jusqu'à quinze heures. Ce miracle avait été un évènement joyeux pour beaucoup d'élèves dans la classe, mais tout à fait salvateur pour notre bleuté épuisé. En effet, s'il ne pouvait rien faire d'autre que penser à Marinette et à leur relation amoureuse avortée, autant rentrer en faire une chanson plutôt que de faire semblant de vivre.

A la fin de la première récréation, Luka entamait le chemin de la maison avec quelques amis. Il avouera plus tard n'avoir retenu aucune conversation, quoique les huit « ça va ? » jetés dans sa direction auxquels il avait répondu oui, si on mettait sa fatigue à part. Ce n'était pas totalement faux et au fond, tous les symptômes qu'il subissait s'apparentaient à un banal épuisement haut gradé, ou du moins ceux qui se voyaient à l'oeil simple. Nulle rancune donc à avoir envers les amis qui l'avaient cru. Luka se disait qu'il irait sans doute mieux le lendemain, qu'il lui fallait juste du temps. Et de la solitude.

Il s'enferma dans sa cabine vers dix heures et quart.

Quand treize heures sonnèrent dans une quelconque horloge du bateau, Luka releva la tête. Scène habituelle, il était assis sur son lit avec sa guitare dans les bras. Moins habituel : il venait de composer quatre chansons complètes. Des paroles saisissantes pour les deux premières, une mélodie dont il était vraiment fier sur la troisième et seulement des détails de tempo à fignoler sur la quatrième.

Depuis tout à l'heure, les mélodies fusaient à une vitesse rarement atteinte dans sa tête. Il y en avait tant qu'il peinait presque à toutes les attraper, à les retranscrire.

Surtout, peut-être était-ce dû au silence exceptionnel du bateau de ce midi-là, la légère pluie derrière le hublot ou bien le manque de sommeil nerveux, mais rien n'était venu déconcentrer Luka de sa torpeur créative ; rien n'était venu percer sa bulle artistique : pas d'Anarka pour lui hurler de descendre le linge dans la cale, pas de Juleka faisant irruption dans sa chambre pour lui demander un conseil, pas de SMS d'Ivan sur sa nouvelle chanson adressée à Mylène ou bien d'appels en série d'Alya concernant la prochaine réunion de groupe.

Seul, il était seul. Et il se sentait bien comme ça. Il aimerait que plus de journées se passent comme celles-là. Il souhaiterait vivre à son rythme et au gré de ses humeurs plus souvent, sans bruit à part le sien, sans contrainte, sans être obligé de s'adapter sans cesse à ce qu'attendent les autres de lui.

Dans la langue de Mozart - Lukadrien (MLB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant