Chapitre 5 : Sol

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Ce week-end, Marinette Dupain-Cheng ne fut pas vraiment elle-même. Il semblait à tout le monde qu'elle s'était mise à jouer un rôle, celui de la jeune fille la plus pensive du monde, dans une sorte de passion passagère pour le théâtre peut-être. Rien d'étonnant à cette idée, car ce week-end, une personne complètement différente de la styliste enjouée occupa le physique de Marinette : quelqu'un de tout à fait différent, d'incompatible avec la personne positive qu'on connaissait. A tel point qu'on crut découvrir un génie de la comédie.

Cette métamorphose s'était déroulée en deux temps. Tout se passa le samedi.

Ce jour-là, elle surprit ses parents à deux reprises, en faisant tout d'abord irruption dans la boulangerie sous une première forme étrange.

Quand ils entendirent le chant familier de la sonnette d'accueil, Sabine et Tom Dupain-Cheng tournèrent la tête vers la porte, persuadés qu'elle allait s'accompagner du joyeux bonjour quotidien auquel leur fille les avait accoutumés. Mais rien. Avec effroi, ils découvrirent en lieu et place d'un visage enthousiaste une sombre face peinte à l'aide de quelque étrange pinceau : pour proposer une telle couleur macabre, il avait dû s'abreuver de la peinture du plus terrible des regrets, pensèrent à peu près les adultes. Cette couleur était certes blanche, mais de façon très perturbante ; car elle s'étalait, sur tous ses traits, entourait les pupilles, et les avalait, les effaçait, les rendait méconnaissables : ces pupilles de couleur ténébreuse, cette impitoyable lividité les emportait dans ce masque exsangue.

C'était une pâleur si mystique que les malheureux parents crurent tout d'abord à une apparition dangereuse, tout à fait cadavérique. Il fallut que Marinette fasse l'effort d'ouvrir la bouche pour mettre fin à ce malentendu spirituel.

La seconde fois, c'était encore une autre affaire. Il était près de minuit quand Marinette rentra, et cette fois-ci, ce n'était pas une affreuse blancheur qu'on découvrit sur sa figure, mais un rouge intense. C'était la teinte de la culpabilité la plus haute, de la honte la plus prononcée. Sabine et Tom la connaissaient bien, celle-là : ils en avaient l'habitude, de cette forte expression embarrassée, quand Marinette cassait une assiette en public. Sauf que là, c'était d'un tout autre niveau. Jamais ils ne s'étaient doutés qu'un jour leur fille puisse avoir ce regard mort, ces joues de feu et cette mâchoire tremblante ; et là encore, les deux adultes ne reconnurent pas Marinette sur ce corps, ils avaient simplement l'impression d'accueillir une enfant s'arrogeant coupable d'un crime injuste.

Ainsi, ce samedi fut tout aussi agité que funeste.

Le dimanche se couvrit d'une humeur maussade qui ne gagnait plus seulement Marinette, mais aussi la maison entière : pour des parents d'une fille unique, il était impossible que le foyer puisse être heureux sans elle.

Pas une fois Marinette ne pointa la tête à l'extérieur de sa chambre. Cette journée, l'adolescente était décidée à la passer comme étant la plus revêche de son existence, fade, triste, livrée à une introspection continuelle qui lui révélait les côtés sombres de sa personnalité. Elle avait même prié à Tikki, sa chère petite kwami qu'elle aimait tant, de la laisser.

Deux cœurs. Marinette avait détruit deux cœurs la veille. Deux cœurs masculins qui lui étaient chers, les deux uniques organes vitaux qui battaient dans les poitrines de ses deux amis ; le premier, le plus parfait ami qu'elle avait dans son entourage, et le second, le plus vif et sincère compagnon de combat qu'elle n'avait jamais eu.

- Luka et Chat noir... murmura-t-elle vers midi en serrant son oreiller contre elle.

Elle se réfugia sous sa couette. Prononcer leurs deux noms à la suite eurent l'effet d'une double morsure au cœur, assistée par des larmes brûlantes qui lui montèrent aux yeux en une seconde. Marinette fit basculer ses paupières pour faire couler toute cette eau.

Dans la langue de Mozart - Lukadrien (MLB)Where stories live. Discover now