Chapitre 2 : Ré

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D'un coup, le rideau tomba et les lumières autour de lui se rallumèrent avec la tristesse d'une fin de représentation.

Il avait pourtant choisi un samedi exprès pour qu'elle soit sereine, pour qu'ils aient le temps d'en parler et de s'aimer enfin.

- Je suis désolée Chat noir. Tes sentiments me vont droit au cœur, mais tu le sais, j'aime un autre garçon. Et ça ne changera jamais.

Son visage d'ange noir se crispa. Pas encore, pas encore ces mots, pas encore cette lame à la couleur du sang du cœur qu'elle avait tant de fois transpercée.

Pitié.

Chat noir insista, maladroitement, qu'il l'aimait vraiment, qu'il était prêt à tout pour elle, à surmonter les pires souffrances de toute la Terre juste pour ses yeux de saphir incrustés dans son masque écarlate. Le super-héros s'avança, il prétendit qu'aucun ne pouvait la rendre plus heureuse qu'il ne le fera, il lui promit qu'il lui offrirait l'impossible venu d'un pays où l'impossible ne se cueille pas, il insista encore et encore : il cria, il supplia même, ça lui était égal, il avait le masque, le gary stu était loin.

Parce que tout, tout mais pas le rejet.

Ladybug ne cilla pas. Dans une froideur qu'elle regrettera toute sa vie, elle lui présenta en quelques mots la différence de leurs personnes, la complexité de leur situation et leurs devoirs de super-héros.

Mais Chat noir ne voulait pas le croire, il refusait d'essuyer un échec de plus dans son amour pour elle.

Il lui prit la main. Il lui jura son amour en des termes forts, il lui parla sans hésiter en pleurant même devant elle. Il était si désespéré qu'il faillit ordonner la détransformation immédiatement. Pourquoi ? Pourquoi ne le regardait-elle jamais comme il voudrait qu'elle le regarde ?

"Bon sang Ladybug, qui ? Qui est ce garçon sans qui tu n'imagines pas la vie possible ? Qu'a-t-il de plus que moi, qu'a-t-il que je n'ai pas, qu'a-t-il pour qu'il ait le droit de m'écarteler vivant ? Qui est-il, que j'aille le voir pour espérer me fondre dans son existence ?"

C'était le cri de son cœur, qui réussit à atteindre celui de sa Lady quelques secondes.

Elle hésita. Elle hésita un instant, à lui avouer le nom de cet être prodige. Peut-être qu'elle lui devait au moins ça, que c'était la moindre des choses à faire pour son pauvre chaton qui mourait de l'aimer.

- C'est...

Son poing se desserra.

- C'est impossible. Pardonne-moi...

Dans un geste de pitié, elle eut quand même la bonté d'embrasser la joue du jeune homme sur une larme aussi chaude que la braise. Puis elle tourna les talons, utilisant comme excuse la détransformation imminente alors qu'il n'y avait pas eu de combat, et disparut.

Chat noir tomba au sol. Il invoqua le cataclysme d'une voix blanche pour briser le papillon violacé qui venait d'être attiré à lui afin de l'akumatiser.

Ce garçon. Ce maudit garçon qui avait l'amour de Ladybug et qui vivait innocemment, pendant que son cœur à lui se faisait martyriser de la plus macabre des manières, il l'aurait tué.

Pourquoi tant de haine ? Foutu masque. S'il ne l'avait pas, peut-être que sa Lady serait tombée sous le charme du charmant visage d'Adrien Agreste, comme ces milliers de filles qui lui couraient après. En lui au moins, il arrivait à plaire, même en tant que pantin maquillé de son père.

Mais il aurait tant voulu qu'on l'accepte en Chat noir, qu'elle l'accepte en Chat noir. C'était en lui qu'il se sentait le plus vivre, en lui qu'il arrivait à s'exprimer comme il le voudrait, à ressentir sans culpabiliser et à se plaire : fier, plaisantin, téméraire et fort, c'était comme ça qu'il aurait voulu être. En Adrien, il souffrait trop, de la disparition de sa mère, de la pression de l'héritage familial, de la célébrité, de la solitude, du doute, des peurs, de l'emploi du temps trop chargé, du langage strict qu'il devait tenir, du vide trop grand du manoir.

La bague du chat noir sonna comme un avertissement à la détransformation. Il ne restait plus que deux coussinets. Pourtant son porteur ne bougea pas, il était incapable de faire comme d'habitude, c'est-à-dire rentrer en sautillant de toit en toit avec fougue et audace. Cependant il n'avait pas non plus la force de rentrer être Adrien. 

Il n'avait la force d'être personne.

Cet instant-là, au lieu de rester à pleurer lamentablement, il aurait voulu tenir la main de Ladybug et l'embrasser de tout son saoul. Et qu'elle lui sourie, rien qu'à lui, puis qu'il l'emmène manger au restaurant, mais qu'ils se fassent renvoyer parce qu'il n'y a plus de table disponible ; qu'ils finissent alors sur un toit, un pauvre sandwich à la main en contemplant les étoiles, serrés l'un contre l'autre à cause du froid piqué des hauteurs.

Qu'ils balancent aussi leurs jambes en rythme au-dessus des voitures qui passent, qu'ils regardent la vie tant qu'elle est là, que leurs rires s'emmêlent et que leurs doigts résonnent ; que la détransformation vienne au moment où ils s'y attendent le moins, qu'ils découvrent enfin le visage de l'autre dans son intégralité. Qu'ils pleurent, qu'ils n'y croient pas leurs yeux, qu'ils s'aiment encore plus qu'il y a une heure et que leurs peaux ne fassent qu'une dans le manteau de la nuit.

Et finalement, une semaine après, qu'ils arrêtent le Papillon une bonne fois pour toute, qu'ils rétablissent l'ordre à Paris main dans la main grâce au pouvoir de l'amour. Qu'ils soient enfin libres, qu'ils partent habiter dans une île déserte, loin de tout, rien que tous les deux, sous le soleil qui efface la misère, qu'ils vivent en mangeant des fruits avec un hamster de compagnie nommé...

...

Cette fois, il rentra vraiment. 

C'était fini. Adrien avait le cœur détruit. Il ne parvint pas à reprendre espoir, comme il avait pu le faire tant de fois. Comme des vagues sombres l'ayant ravagé, le quota des déterminations était épuisé. 

Alors, c'était comme ça... Il devait renoncer à être amoureux pour permettre à sa Lady de vivre l'histoire qu'elle recherche. Ce ne sera plus l'amour qui offrira la détermination à Chat noir de sauver Paris, mais le devoir. Rien que le devoir.

Désormais, les heures s'enchaîneront les unes aux autres dans une succession qu'Adrien détestera : car voilà qu'en plus d'avoir perdu sa mère, il avait perdu à jamais le cœur de Ladybug, sa précieuse partenaire qui illuminait son champ de vision.

Dans la langue de Mozart - Lukadrien (MLB)Where stories live. Discover now