35. Je découvre une salle intéressante

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Entre les cours de magie que je devais donner à Prolff, les cours que je suivais moi-même et les sorties que j'effectuais en douce pour aller voir Jade, le temps s'écoula encore plus vite qu'au début de l'année.

Malgré toutes ces occupations, je commençai à ressentir une légère nostalgie de la Terre. Certes, vivre dans un autre monde avait un côté excitant, mais je n'avais jamais été pendant si longtemps aussi loin de la maison... Attention, je ne dis pas que je regrettais le collège, les devoirs et les bulletins de notes. J'étais mélancolique, pas complétement timbré ! Mais toutes ces petites choses du quotidien, comme ma Gameboy, la télévision, ou encore le taboulé de ma maman, commençaient à faire ressentir leur absence.

Ma mère fait un très bon taboulé.

Je n'étais pas le seul dans ce cas, mais pour la plupart de mes camarades, le service de poste de Yalforev était suffisamment efficace pour qu'ils puissent garder un contact régulier avec leur famille. J'aurais bien aimé en faire de même, mais le seul postier que j'ai croisé m'avait exposé les tarifs réglementaires pour tout envoi vers la Terre, et ils étaient... exorbitants. Le moindre petit courrier coûtait deux émeraudes ! J'avais pu troquer mes euros contre la monnaie locale (divisée en rubis, émeraudes puis saphirs), mais je n'étais pas pour autant milliardaire ! Je n'avais donc pu envoyer jusqu'à présent qu'une malheureuse petite lettre, dans laquelle j'expliquais brièvement que tout allait bien, que j'étais sage (pas de commentaire, merci), que notre école était trop isolée pour pouvoir envoyer ou recevoir des courriers réguliers, et qu'il était donc inutile qu'ils me répondent. Le postier avait regardé avec une grande méfiance l'adresse écrite au dos de la lettre, se demandant sans doute pourquoi j'avais écrit : « Ecole de la Forteresse Rouge, quelque part en Laponie ». Mais le pire fut quand je dus le convaincre de me laisser appliquer, à l'aide de la magie, un tampon supposé être celui de la Laponie.

— Mais nous ne sommes pas en Laponie ! avait-il protesté avec horreur.

— Oui, mais les destinataires ne doivent pas le savoir...

Apparemment, il ne comprenait pas beaucoup le principe, car il appliqua tout de même un grand tampon avec l'orthographe de l'Apô-ny. Ils allaient bien rigoler, à la poste française...

Malgré ce maigre courrier, ma famille aurait commencé à me manquer sérieusement sans la découverte que fit Adao, une après-midi vers le mois de mai.

— Al, il faut que tu viennes voir ! s'était-il exclamé en entrant en courant dans notre petit salon, où j'étais tranquillement en train de ne rien faire.

Je le suivis avec curiosité.

Je savais qu'Adao adorait tout ce qui avait trait à la technologie. Les habitants de Wanojii, son pays natal, possédaient tous une magie très faible, Adao étant une exception assez rare qui avait suscité une grande curiosité. Quoi qu'il en soit, ils avaient rapidement développé une technologie très efficace, qui avait l'avantage de se substituer à la magie. Même si les autres Yalforeviens dédaignaient un peu ce qu'ils qualifiaient de « gadgets », les habitants de Wanojii faisaient preuve de toujours plus de créativité et d'innovation, et pour une fois, mon ami ne faisait pas exception. Il avait par exemple entièrement démonté ma montre connectée qui trainait au fond de ma valise (vu qu'elle n'était plus connecté à rien du tout et donc inutile), avant de la juger « technologiquement démodé ». Dire que je l'avais acheté il y a moins d'un an !

Mais revenons plutôt à notre sujet. Après m'avoir entraîné à travers la forteresse, Adao s'arrêta devant une porte. Nous étions dans un couloir de la tour nord, la plus grande de la forteresse.

— Tu ne devineras jamais ce qu'il y a à l'intérieur ! s'exclama-t-il, ses yeux dorés étincelant sous la fierté de sa découverte.

— Je parie sur des équipements technologiques ultra-modernes..., lançais-je un peu au hasard, tentant d'imaginer ce qui pouvait le passionner à ce point.

Mais je connaissais Adao mieux que je ne le pensais. Mon ami se dégonfla d'un coup.

— Tu y es déjà allé ? demanda-t-il, laissant percer une déception infinie dans sa voix.

— Tu veux dire que j'ai raison ?m'exclamai-je, fier de moi.

Pour toute réponse, Adao poussa la porte.

Le choc entre le couloir et l'intérieur de la pièce fut assez brutal. Je passai d'un château style médiéval à un véritable décor de science-fiction. Partout des claviers, des ordinateurs, des écrans tactiles...

Ma première pensée fut pour la malheureuse salle informatique de mon collège, qui comprenait trois antiquités cubiques qui mettaient une demi-heure (si on avait de la chance) à s'allumer, et qui s'éteignaient avant d'avoir pu se connecter à Internet. Paix à leur âme.

Ma deuxième pensée fut moins émue, et plus terre à terre. « Le lutin-en-chef va payer pour nous avoir caché ça ! »

Enfin, je pris conscience d'une dernière chose : j'allais pouvoir parler à ma maman. A condition qu'elle sache utiliser Skype, ce qui était déjà une autre affaire...

Euh... et à condition que ce matériel soit connecté au réseau internet terrien, par je ne sais quel miracle... Mais, sinon, pourquoi avoir ces ordinateurs ?

— Alors, c'est génial, non ?

Je me tournais vers Adao avec un grand sourire.

— C'est vraiment trop génial ! Tu as déjà utilisé tout ça ?

— Pas tout, mais une grande partie. J'ai vu que c'était connecté au réseau terrien, celui que vous appelez Aternet...

— Internet. Vraiment ? Un sort doit y avoir été appliqué.

Adao paraissait encore plus excité que moi.

— Tu veux essayer ?

Mais alors que je m'asseyais en face d'un ordinateur qui aurait fait rêver Steve Jobs, une voix désagréable retentit derrière nous.

— Me demander la permission n'a même pas effleuré vos esprits, je suppose ?

Comment le lutin-en-chef faisait-il pour gâcher systématiquement tous mes plaisirs ?

Je fis pivoter mon fauteuil vers lui, tandis qu'Adao se faisait tout petit.

Attention, amis lecteurs. Les lignes suivantes relatent l'un de mes plus grands exploits en matière de manipulation. Prenez-en de la graine.

— Que se passe-t-il, monsieur Dupin ? Vous faites la même tête que si l'on vous avait annoncé que tous les cours de magie étaient remplacés par des leçons de diplomatie...

Je baissais les yeux.

— C'est à cause de ma maman, monsieur.

Le lutin haussa les sourcils.

— Votre mère ?

— Cela fait plusieurs mois que je ne lui ai pas parlé... Je n'ai jamais été séparé d'elle aussi longtemps, et elle me manque. Vraiment beaucoup.

Ma voix se brisa.

Tout n'était pas complètement simulé. Ma famille me manquait réellement. Le lutin-en-chef dut sentir mon honnête, car pour la première fois, ses traits s'adoucirent.

— Vous savez Alphonse, vous pouvez utiliser nos ordinateurs pour communiquer avec elle. En vérité, ils ne nous servent à rien. C'est uniquement le Mage Rouge qui a exigé que notre forteresse soit très bien équipée, juste au cas où nous en aurions besoin un jour...

Je levais mes yeux vers lui.

— C'est vrai ?

Le lutin parut presque attendri.

— Mais oui, utilisez cette salle comme vous voulez.

Il dut saisir le regard triomphal que j'échangeai avec Adao, car ses instincts naturels reprirent le dessus.

— Mais ne salissez rien. Pas de bruit, et pas d'agitation. Surtout pas d'agitation. C'est compris ?

— Oui monsieur, répondis-je humblement.

Le lutin-en-chef repartit avec une grande méfiance.

J'avais gagné.

Le mage rouge. Le roman de l'Apô-ny, tome 1 (histoire terminée)Where stories live. Discover now