29 juillet (déchirement)

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La contrainte est: introduire un déchirement.

Le ciel noir s'éteint. Qu'attend-on avec impatience? Que l'allumeur de réverbères rallume les étoiles? Le ciel pleure, saigne. Les gouttes couleur sang vermeil pleuvent. J'ai oublié mon parapluie. Les parapluies contre la souffrance de la voûte céleste sont-ils encore efficaces? Que fait l'Humanité avec ses êtres qui ne sont plus que des larves androïdes? Elle se repaît de chair et de sang. Elle nous dévore. Rien à craindre! Je suis là pour vous protéger. Que fais-tu donc là immobile? Tu attends? Non...J'ai tout vu. Il ne manque que lui.

Tu te demandes toujours ce que j'attends? Qui? Comment? Pourquoi? As-tu parfois les réponses à tes questions? Tu n'attends tout de même pas que Peter Pan ou le Petit Prince tombé de sa planète t'apportent les réponses? Réfléchis par toi-même. As-tu remarqué que non seulement les étoiles mais aussi la lune avaient disparu? Quel diable étrange régit ce Monde au bord de l'apocalypse? Il a des yeux terrifiants qui clignotent. On le prendrait pour l'étoile du Berger, ma foi. La Vierge Marie n'en croit pas ses yeux.

Le grand ménage a commencé dans l'étable. Le bœuf et l'âne n'en peuvent plus de souffler pour réchauffer l'enfant Jésus. Les Rois Mages se sont égarés dans le désert. Le ciel n'avait plus son étoile du Nord pour les guider. Adieux les offrandes! Joseph et Marie se contenteront des dons du Secours Populaire. Ils vont bien trouver une brassière adaptée. La couronne de lauriers a été volée. Les chenapans traînent dans les parages. Ils sont désœuvrés. C'est un larcin inhabituel. Que vont-ils en faire? De la tisane pour mémé?

Mémé a passé l'âge de boire sa tisane. Elle s'emmitoufle le soir dans une grande couverture de laine. Tu l'observes, son visage ridé et buriné par les malheurs de la vie. Connais tu ta chance? Tu es encore jeune. Elle est là pour te raconter ce qui fut à la création du Monde: Marie, Joseph et Jésus, l'enfant potelé qu'ils ont assassiné. Les rêves des parents se transmettent aux enfants, leur tristesse aussi. Les bébés naissent en pleurant. Est-ce un signe? Tu as perdu ton étoile, celle qui te guidait partout où tu allais. Ne pleure plus. C'est la vie. C'est ainsi. On n'y peut rien.

Tu sais dans cette vie où rien ne va plus, il faut garder espoir et se dire à chaque seconde qui passe: on y va! Souvent dans la douleur, la trotteuse se fait grande aiguille et dans le bonheur si éphémère, palpable du bout des doigts, c'est l'inverse. On y va! Garde ça en mémoire si cela peut t'aider. Le ciel noir ne montre plus rien. C'est la mémoire de l'Humanité qui l'a effacé. C'est cela le phénomène du Trou Noir? Un espace béant où les humanoïdes se perdent et se noient avec l'approbation de leur Dieu?

Les Dieux sont multiples. Connais-tu l'histoire de ce marcheur solitaire, usé et vieilli qui arpentait le désert? Il se retournait souvent pour regarder ses empreintes laissées dans le sable. Il voyait deux lignes d'empreintes et parfois l'une d'entre elles disparaissait. Il se lamentait et apostrophait son Dieu en lui demandant où il était passé quand il souffrait tant. Son Dieu lui répondit alors: <<je te portais, mon fils. Ces empreintes sont les miennes. Je ne t'ai jamais abandonné quoi que tu puisses en penser>>. Les hommes sont égoïstes.

Ils pensent tout savoir. Ils croient avoir tout vu. Entends mon message: la vie est le chemin que vous tracez vous-mêmes. Le temps vous appartient. Il n'y a jamais d'urgence. Même aujourd'hui sous ce ciel si bas et si lourd comme un couvercle, comme l'a décrit avec mélancolie le poète, ce ciel qui t'asphyxie, il est temps de déployer tes ailes et de prendre un envol salvateur si tu ne veux pas finir réduit en cendres. Seul le Phoenix renaît de ses cendres. Tu n'as pas de pouvoir magique mais tu peux échapper au destin funeste.

Ce que les anges ne t'ont pas expliqué à la naissance, c'est que tu étais censé être l'union de deux rêves mais tu n'es pas la chair de ma vie. Je ne suis pas ton créateur. Les étoiles veillent sur les êtres rampant, volant, sautant et marchant. L'Humanité assiste à leur fin. C'est l'enterrement de la beauté et de la magie en ce jour terrible. Qui l'eût cru? Les hommes se sont habitués à leur confort, ont engendré des monstres sans s'en apercevoir et le ciel en est témoin. Il est ravagé par l'impuissance. Il ne sait que pleurer.

Non, je ne te raconte pas d'histoire. Je suis ton aîné. J'ai vécu tant et tant de désillusions. Je me suis accroché à une étoile et j'espère bien retourner sur ma planète où m'attend ma chère rose, celle dont j'ai pris tant de soin, celle que j'ai protégée des chenilles. Dis petit, crains-tu les papillons? Elle m'a avoué qu'elle les aimait et qu'elle se faisait une joie d'être butinée pour donner naissance à un bourgeon dont l'éclosion serait comme un feu d'artifice dans la noirceur de ce Monde déchu. L'eau est bonne pour le cœur, les puits se trouvent dans les déserts.

Je regrette de t'apprendre que les hommes sont devenus fous avec leur soif de pouvoir. C'est pourquoi j'ai décidé de rentrer chez moi et je vais les laisser s'entre-tuer. Tu sais, si tu veux m'accompagner, il te faudra perdre cette peau bien trop lourde. Le serpent nous aidera. Je l'ai convaincu. On est tellement seul chez les Hommes. Les étoiles, nous les dessinerons à nouveau. C'est un vaste chantier mais ça en vaut la peine. Dans chaque étoile est prisonnier le rire d'un enfant. Dans chaque étoile se trouve la vie.

Je sais, c'est un déchirement pour toi, encore jeune, de découvrir ce que l'Humanité est devenue. Elle n'en a plus que le nom...

Marathon d'écriture 2019 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant