22.

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Tout en chantonnant doucement, je quitte la voie principale et bifurque en direction de mon quartier. Dans l'habitacle de l'utilitaire, la radio égrène les vieux tubes des années 80 et 90.

J'adore !

J'ai passé ma matinée chez un petit maraîcher qui pratique la permaculture. Son exploitation n'est pas très importante pour l'instant. Il n'y a pas si longtemps encore, il était étudiant en agronomie. Nous avons longuement discuté d'agriculture durable, de préservation des sols, des qualités nutritives des fruits et légumes. Financièrement, il dit pouvoir tout juste subvenir aux besoins de sa famille. Mais il affirme que l'essentiel pour lui est de vivre autant que possible dans le respect de la nature.

J'ai aimé discuter avec lui. C'est un passionné. Il vend des « paniers » — ce sont en fait des caissettes en bois recyclé que l'on peut rapporter — qu'il garnit de ses récoltes. Ses clients ne savent jamais exactement ce qu'ils vont y trouver. Néanmoins, il y a suffisamment de choix pour se concocter un menu varié pour la semaine. Moi, ça me plaît comme principe. Pourquoi toujours vouloir plier la nature à nos exigences ? Je n'ai pas l'impression qu'à ce jeu-là nous en sortirons finalement gagnants.

Bien sûr, j'ai acheté quelques légumes pour la maison et aussi en prévision de la réservation de ce soir. C'est un dîner pour deux. Offert par les enfants du couple pour leur anniversaire de mariage.

Débouchant, dans ma rue, je déniche une place et m'y gare rapidement.

Fidèle au poste, la petite bande, à l'exception de Ian, est installée sur les marches du perron.

Je laisse échapper un soupir en repensant à mon frère. Si ses blessures physiques se remettent lentement, niveau moral, il reste taciturne. Du reste, il ne traîne plus trop dans le quartier depuis quelques jours. Même les gars s'en étonnent. J'ai l'impression que depuis notre confrontation de l'autre jour, il cherche à m'éviter. Lorsqu'elle l'avait vu dans cet état, Daphnée lui avait demandé s'il voulait de l'aide pour refaire le bandage qu'il avait à la main et qui « ne ressemblait pas à grand-chose » selon elle. Elle avait ajouté que Jay pourrait y jeter un coup d'œil quand il passerait le soir. Ian s'était contenté de tourner les talons. Montrer ses sentiments, ce n'est pas le genre de ma mère. Cependant, je sais qu'elle se fait autant, sinon plus, de mouron que moi pour lui.

Lorsqu'ils me voient sortir les caissettes du coffre, Kevin et Zian viennent me les prendre des mains. Je les remercie d'un sourire avant de récupérer le cabas de courses.

— Alors, ça roule la restauration à domicile ? m'interroge Kevin comme nous nous dirigeons vers l'entrée de l'immeuble.

— Ça roule si on veut, mais vraiment pas très vite alors, réponds-je avec un poil de malice, le rose aux joues.

— Eh bien, tu vois, mec, je savais bien à force de la charrier, elle finirait par se décoincer ! C'est grâce à moi, rigole-t-il en prenant à témoin Zian.

— Arrête de prendre tes rêves pour la réalité, se marre l'autre.

— Carrément ! surenchéris-je en m'esclaffant.

En passant devant eux, je salue joyeusement Dev et Hugues avant de grimper les marches du perron d'un pas alerte. Les gars ouvrent la porte et Kevin me la tient. En franchissant le seuil, je crois vaguement entendre la phrase : « En fait, elle déchire, cette fille... » Cela m'arrache un imperceptible sourire. Je mesure seulement à cet instant à quel point je me sens différente de la Noémie super complexée d'il y a quelques mois à peine encore.

Dans le deux-pièces, les éclats de rire et les bruits de conversation percent ici et là au-dessus de la musique. L'ambiance est festive et décontractée.

Pour toujoursWhere stories live. Discover now