13.

2.6K 227 5
                                    

Adam

Aujourd'hui...

D'un coup, les nuages s'effilochent. Quelques rayons de soleil viennent doucement nimber la frondaison des arbres.

Mêlé aux clameurs et aux encouragements, le vrombissement des motos résonne sous cette voûte verdoyante. Malgré la pluie fine et incessante qui a transformé le terrain en véritable marécage, il y a du monde pour assister à cette spéciale chronométrée. Emmitouflés sous leurs capuches et blottis sous les parapluies, les gens se pressent derrière les filins de sécurité tout au long du parcours. Ils font un barouf du diable à chaque fois qu'un concurrent passe devant eux.

Devant moi, la file de pilotes s'amenuise de minute en minute au fur et à mesure des tops-départ. Lorsque la colonne s'ébranle à nouveau, le type juste devant a encore quelques problèmes avec sa bécane. C'est la deuxième fois qu'elle cale. Comme il essaie de la relancer, il y a à présent un espace de plusieurs mètres entre nous et les autres concurrents. Son moteur repart enfin. Il met les gaz pour regagner du terrain et sa roue arrière me balance une giclée de boue. De ma main gantée, j'essuie mes lunettes de protection avant de le suivre de près.

À présent, je ne suis qu'à quelques mètres du portique. Ça y est, le mec devant moi vient de s'élancer à son tour à toute berzingue. J'avance jusqu'à la ligne de départ. Le fanion s'abaisse pour m'interdire d'aller plus loin.

L'excitation accélère les battements de mon cœur. Il me faut maintenant chasser de mon esprit tout ce qui n'est pas la course. Impatient, tout en donnant des petits coups d'accélérateur, je laisse courir mon regard sur le circuit. Ce n'est plus qu'un bourbier.

Me libérant soudain le passage, le drapeau se lève enfin. Dans une décharge d'adrénaline, je m'élance. Les roues s'enlisent impitoyablement. Mais peu importe. J'accélère et me positionne sur ma moto. Je franchis sans difficulté le tremplin. Ce n'était qu'un amuse-bouche. La piste étroite chemine à travers les arbres. Je négocie une série de virages particulièrement serrés. Ma trajectoire se déporte vers les fossés de part et d'autre du sentier. Les roues des dizaines des bécanes qui sont passées avant moi y ont creusé de profondes tranchées. Je ne m'en sors pas trop mal et gagne même un peu de terrain sur le type qui me précède. Soudain, sa moto cale. Il manque de basculer avant de se décaler sur le bas-côté de la piste. Ses coups de talons rageurs pour redémarrer n'ont pas l'air très efficaces. Apparemment, sa mob a bel et bien rendu l'âme, cette fois.

Je mets les gaz et le dépasse vite fait.

À présent en position de suspension, prêt à amortir les chocs, j'entame une partie assez technique faite de bosses et de dénivelés particulièrement ardus. Je suis obligé de poser le pied à de nombreuses reprises. J'exulte littéralement face au danger. Je le provoque. Je flirte avec les limites.

Il y a peu encore, je ne me sentais jamais aussi libre que pendant une course d'enduro. Aller toujours plus vite. Accélérer sur la piste. Aujourd'hui, j'avoue que le parapente me procure des sensations tout aussi fortes, la sérénité en plus.

J'ai à peine le temps de reprendre mon souffle qu'une pente abrupte se dresse devant moi. Une nouvelle décharge d'adrénaline pure se déverse dans mon sang. Le moteur vrombit comme j'accélère encore pour prendre de l'élan. Et juché sur ma moto, je gravis la butte à toute allure.

Bien plus tard ce soir-là, une serviette ceinte autour de mes hanches, je sors à peine de la douche lorsque mon smartphone se met à sonner. Je le récupère sur le meuble central du dressing, et ne suis pas vraiment surpris quand je découvre sur l'écran le nom de mon correspondant. Avec un soupir, je décroche.

— Tu t'es cassé sans rien dire à personne, mec. On t'a cherché comme des cons ! balance aussitôt Colin.

En plus d'être mon meilleur pote depuis toujours, Colin est mon suiveur pendant mes courses d'enduro. Habituellement, avec les gars du club, on va faire la fête à la fin des journées de compète. Mais tout ça ne me dit plus rien.

Aussi, la course terminée, j'avais taillé la route sans prévenir Colin. Je n'avais pas envie de me prendre encore la tête avec lui. Depuis des semaines, il me reproche d'esquiver les sorties et de faire le vide autour de moi. Selon lui je devrais au contraire me rapprocher des amis et me vider la tête.

Peut-être. Mais vu comment ça s'était terminé l'autre soir, on peut en douter.

— De toute façon, tu savais que je ne vous aurais pas accompagnés ce soir, biaisé-je.

— Ah non, mon vieux, j'étais certain que tu viendrais avec nous.

Bon. J'avoue, je n'ai pas été particulièrement cool sur ce point. C'est vrai que j'aurais pu au moins lui envoyer un message pour lui signaler que j'étais sur le chemin du retour.

— Merde, ne me dis pas que tu étais encore là-bas ! poursuit-il.

— D'après toi ? ironisé-je.

— Mais putain, il faut que tu arrêtes de broyer du noir. Change-toi les idées. Tu ne peux pas passer tout ton temps libre à...

— Tu m'emmerdes, vieux, le coupé-je.

— Bon, bon ! Mais, je voulais te parler de la course.

Comme il hésite, un silence pesant résonne sur la ligne.

— Eh bien quoi, la course ? le relancé-je.

— Tu prends trop de risques inutiles, finit-il par dire d'un ton qu'il voudrait posé, mais j'y perçois une certaine tension.

— Apparemment, pas encore assez. Je n'ai pas gagné, le contré-je sèchement.

— Putain ! On peut plus discuter avec toi ! s'insurge-t-il à nouveau. Merde, reprends-toi ! Je ne te reconnais plus, mec. Tu te bagarres. Tu prends des risques insensés... Qu'est-ce qu'elle en penserait de tout ça ?

— Laisse-la en dehors de ça !

— Bordel de merde, Adam ! Quand est-ce que tu vas arrêter de culpabiliser ?

— Comment je pourrais ? Je suis responsable...

— Mais putain ! Arrête de débiter des conneries, m'interrompt-il violemment. Tu te crois tout puissant ou quoi !

— Va te faire voir ! le rembarré-je encore une fois.

— Tu n'es vraiment pas à prendre avec des pincettes en ce moment, mon pote ! Bon, je te laisse. On se voit demain.

— Mouais..., lâché-je avant de raccrocher.

Glissant une main nerveuse dans mes cheveux encore humides, je sors du dressing et entre dans ma chambre. Je vais me poster devant la fenêtre et balance mon téléphone sur mon lit au passage.

Mon regard plonge dans la nuit brillamment éclairée par les lumières de Londres.

J'ai conscience que ces dernières semaines, je n'ai pas été ce qu'on peut appeler le meilleur des potes pour mes amis. Plus particulièrement pour Colin. Et Lise aussi du reste.

Mais c'est plus fort que moi.

Leurs regards désolés, je ne les supporte plus. Et lorsqu'ils me demandent de faire comme s'il ne s'était rien passé, c'est pire encore. Ça me met carrément en rogne !

Tout en moi crie que rien n'est plus pareil.

Alors, comment faire semblant ? 

Pour toujoursWhere stories live. Discover now