10.

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Adam

Aujourd'hui...

Les bras tendus et les mains plaqués sur le carrelage, je baisse la tête. Le jet puissant de la douche s'abat sur ma nuque et mes épaules contractées.

Ce soir, je me suis laissé convaincre par Colin de le rejoindre lui et quelques amis dans un pub du centre où nous avions nos habitudes. L'ambiance y est généralement très animée. Mais à l'étage, avec ses fauteuils club en cuir et ses poufs disposés en petits cercles, l'atmosphère est plus feutrée et conviviale. Je ne m'attendais pas à y trouver Lise. Mais j'étais content qu'elle soit là. À part un coup de fil ou deux, cela faisait un moment que je ne l'avais vue. Nos deux familles se connaissent depuis des lustres. Elle et moi avons fréquenté les mêmes écoles privées. Nous appartenons au même cercle. Il y a toujours eu un lien spécial entre nous. Notre relation a connu des hauts et des bas, mais nous sommes restés proches. À une certaine époque, je pensais même que je finirais par l'épouser.

La soirée avait été laborieuse pour moi. Tous — Colin et Lise, les premiers — avaient essayé d'adopter une attitude naturelle. Seulement, de temps en temps, j'avais croisé leurs regards désolés. Et incompréhensiblement, ça me mettait chaque fois un peu plus en rogne. Et qu'ils fassent comme si tu n'existais pas. Comme si tu n'avais jamais fait partie de ma vie. Ça, c'était carrément insupportable.

— Alors, comment se goupille ton projet ? m'avait interrogé Colin.

— Pas mal. La semaine prochaine je dois visiter un local, avais-je expliqué avant de vider ma pinte.

— Tu es bien certain de ta décision ? avait enchaîné Lise.

— D'après toi ? avais-je rétorqué avec causticité.

— Tel que je le connais, Sir Henry Masson Miller n'a pas dû apprécier, avait-elle remarqué avec humour avant de reprendre plus sérieusement. Tu penses qu'il irait jusqu'à se servir de ses contacts pour te mettre des bâtons dans les roues ?

Si officiellement il a pris sa « retraite » il y a un an à peine et ne participe plus à la vie politique du pays, mon père est encore un homme influent. Qui aime commander et orchestrer. C'est peut-être ce qui explique qu'il a du mal à accepter qu'il n'ait plus aucune influence sur mon existence.

— S'il essaie, je n'en serais pas étonné, avais-je admis. Mais cela ne changera rien à ma décision.

Je vais désormais m'investir dans quelque chose qui me tient à cœur. Et cela, c'est grâce à toi, mon ange.

Aujourd'hui, je sais qu'avant toi, je m'ingéniais juste à rentrer dans le moule qu'on m'avait assigné depuis toujours. Sans doute me serais-je contenté de faire au mieux ce que l'on attendait de moi sans jamais vraiment en retirer la moindre satisfaction personnelle.

Notre rencontre... Toi, tu m'auras permis d'en prendre conscience.

Avant toi, je pensais que ma vie était exactement ce que je voulais qu'elle soit. Tout du moins, c'était ce dont je tentais de me convaincre. Étais-je réellement heureux ? Étais-je même tout simplement en accord avec ce que je faisais de ma vie ? Ce genre de questions ne m'effleurait pas. Mes amis étaient présents, et j'essayais d'être là pour eux. Mon plan de carrière était tout tracé et j'étais en pleine phase ascendante.

Oui. Tout semblait me réussir.

J'avais pourtant parfois l'impression d'étouffer. Les compétitions d'enduro amateur où j'allais m'éclater me procuraient, pour quelques heures, une illusion de liberté.

Et étouffer, c'était exactement la sensation que j'avais soudain éprouvée ce soir, assis là, au milieu de mes amis. J'avais l'impression d'être comme étranger à tout ça. Je les regardais rire, plaisanter, boire. Mais je n'étais pas réellement avec eux. Aussi, sous prétexte de descendre chercher une autre tournée de bière, je m'étais excusé et avait quitté mon fauteuil club. J'allais emprunter l'escalier quand un type passablement éméché avait trébuché sur moi. Je l'avais retenu, et il n'avait pas trouvé mieux que de copieusement m'insulter.

Je ne sais pas exactement ce qui a tout déclenché. Ou plutôt si. En temps normal, je l'aurais simplement remis à sa place et aurais tourné les talons. Ce soir, un sourire narquois aux lèvres, j'ai asticoté ce gars. Et il m'a envoyé son poing dans la figure. Je peux bien me l'avouer maintenant. C'était ce que j'attendais. Espérais, même. J'ai aussitôt répliqué. J'avais besoin d'évacuer cette colère, cette rage qui s'est accumulée ces dernières semaines. Et sans doute était-ce aussi une façon d'oublier. Même l'espace d'un instant. D'enfouir au plus profond de moi cette culpabilité, cette douleur, cette impression de vide sidéral.

Je pense que ça aurait pu très vite dégénérer si Colin et quelques types n'étaient pas intervenus. Lise, elle, en avait été horrifiée.

Secouant la tête pour chasser ces réminiscences, je passe une main fébrile dans mes cheveux. Mes articulations écorchées se rappellent à mon bon souvenir. Je me suis vraiment comporté comme un connard de première !

Je me bouge, sors de la douche et attrape une serviette. Tandis que je me sèche vigoureusement, ton image danse devant mes yeux. Un sourire effleure mes lèvres lorsque je repense aux stratégies que j'avais dû employer pour passer un peu de temps avec toi pendant les quelques jours où tu avais remplacé Nora. C'était plus fort que moi. Tu m'intriguais. À la fois mal assurée et déterminée. Rougissante et dégageant pourtant une sensualité à fleur de peau. Tu oscillais en permanence entre timidité et impertinence.

Depuis le premier regard posé sur toi, mon ange, je ne pensais qu'au moment où j'allais enfin t'embrasser. J'ai été surpris par l'intensité de l'alchimie qui existait entre nous. Tu étais à la fois passive et consentante. Audacieuse et réservée. Timide en somme. Mais je te trouvais adorable. Et surtout, je ne me rappelais pas avoir expérimenté un tel désir auparavant. Et je sentais, je savais que tu ressentais la même chose.

En pénétrant dans ma chambre un instant plus tard, j'enclenche la musique.

C'est notre playlist.

Tous ces titres font resurgir les souvenirs que j'ai de toi. Ils les rendent si vivaces que j'ai l'impression qu'ils ne remontent qu'à quelques jours à peine. Mais en même temps, ils ne font que souligner douloureusement ton absence.

Les premières notes de « Missing Remix » du groupe Everything but the girl s'élèvent doucement dans la pièce. Combien de fois avons-nous écouté et même fredonné ce titre ? Tu étais folle des vieux tubes des années 90. Et j'aimais ce côté un peu décalé en toi. Désormais, les paroles résonnent douloureusement en moi. Elles me prennent aux tripes.

Un étau invisible emprisonne mon cœur. Inexorablement, il se resserre autour de lui. Il le broie impitoyablement.

Now you've disappeared somewhere

(Maintenant tu as disparu quelque part)

Like outer space

(Comme hors de l'espace)

You've found some better place

(Tu as trouvé un endroit meilleur)

And I miss you

(Et tu me manques)

Like the deserts miss the rain

(Comme la pluie manque au désert.)

Pour toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant