I R I S

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"And you can't fight the tears that ain't coming
Or the moment of truth in your lies
When everything feels like the movies
Yeah you bleed just to know you're aliveAnd I don't want the world to see me'
Cause I don't think that they'd understand
When everything's meant to be broken
I just want you to know who I am"

Euh... salut.

Je m'appelle Iris Samaras, j'ai dix-huit ans, et je crois que c'est à mon tour de raconter. J'imagine que ce doit être un peu dur pour vous de quitter Naël.

Normal.

Tout le monde aime Naël.

Naël est gentil, Naël est beau, Naël est intelligent, Naël est respectueux, Naël est parfait.

Personne n'aime Iris.

Iris est méchante, Iris est belle, Iris est idiote, Iris ne respecte rien, Iris est méprisable

Vous avez vu, j'ai laissé « belle ». Parce que finalement, ma beauté est quelque chose que l'on me reproche, presque tout le temps.

« T'es trop belle pour être une fille bien »

« T'es trop sexy pour ne pas être consentante »

Ou alors, j'ai droit au fameux « T'es belle mais... »

Alors que Naël...

Depuis petit, les gens s'extasient devant ses grands yeux noirs si expressif, devant son sourire charmeur et ses boucles brunes. Lui, il a le droit d'être beau.

Moi je m'en fous de tout ça, toute ces qualités incroyables qu'on prête à Naël. Je connais trop bien ses insécurités, même s'il fait comme si elles n'existaient pas.

Tout comme au fond, il se fout pas mal de ce que les autres disent de moi, même s'il en dit autant, souvent.

Il sait parfaitement qui je suis.

Il me connaît même mieux qu'Ilyes, son cousin, mon seul ami.

Ilyes est comme moi, un rebut de la famille. Personne ne peut le supporter. C'est une personne très difficile à atteindre parce que blindée comme pas possible.

Ceux qui le connaissent disent qu'il n'a pas de cœur, je crois que ce n'est pas totalement faux, mais je pense que c'est plus profond que ça. Ilyes est dur, vraiment, il a construit autour de lui un mur qui l'éloigne de toute forme potentielle de souffrance.

C'est peut-être pour ça qu'on s'entend aussi bien. Aucun de nous n'attend de l'autre qu'il se confie, montre ses faiblesses ou le réconforte.

Pour le coup je préfère largement m'ouvrir à Naël, même s'il est affreusement agaçant, j'ai une confiance absolue en lui.

Je vous préviens d'emblée, je ne vais pas vous laisser entrer trop vite dans ma tête dans mon cœur. Il va falloir qu'on s'apprivoise, vous et moi.

Déjà, je me doute que je suis assez détestée. Ne vous en faites pas, votre haine, je m'en branle.

Quand on a l'habitude d'être haïe par les autres filles depuis le CP, d'entendre des garçons nous traiter de « traînée » depuis la quatrième, y compris ceux de sa propre famille, ce ne sont pas quelques commentaires insultants qui font pleurer.

Et puis c'est comme ça, si j'étais un mec, toutes les nanas seraient en chaleur, « Oh mon Dieu (insérer ici un nom de chanteur anglophone ou coréen imberbe et tatoué), t'es un bad boy. T'es trop sexy, parle-moi mal ! Oh oui trompe moi et brise mon cœur à multiples reprises, au fond c'est parce que t'es blessé, c'est pas ta faute, je t'aime. »

Mais comme je suis une fille, je suis juste « une grosse pute, vas-y ferme ta gueule on veut pas t'entendre, quoi que t'aies vécu, tu mérites pas notre compassion ».

C'est comme ça.

Mon père est un peu différent. Du plus loin que je me souvienne, je l'ai toujours vu prendre la défense des filles perdues.

Lui et moi... C'est compliqué. Je ne vais pas trop m'attarder sur le sujet. Tout ce que vous avez besoin de savoir c'est qu'il est l'homme le plus talentueux que je connaisse, qu'il a un charme incroyable, qu'il est plein aux as et que je ne lui fais pas confiance. Même si souvent... Je suis tentée d'avoir envie de le croire, de m'ouvrir de nouveau à lui, j'ai trop peur.

Parce que quoi qu'il arrive, ce sera toujours « Elle » qu'il défendra, choisira, préfèrera.

Comment je le sais ?

Parce que dès le premier jour de ma vie, on lui a demandé de faire un choix. Il n'a pas hésité. S'il fallait en sauver une des deux, c'était la mère.

Je ne vais pas vous mentir, mon père me manque, mais ce n'est pas pour autant que je pourrai lui pardonner un jour.

Et puis... Il y a Moh...

Ou plutôt il y avait.

Il n'est pas mort... Mais quelle différence ? Je ne peux plus l'atteindre, il ne peut plus me réconforter.

C'est presque pire.

C'est la personne que j'aime le plus au monde, même si je suis sortie de ce « crush adolescent » pour lui, il restera pour toujours celui qui a sacrifié sa vie pour moi.

Et je resterai toujours celle qui l'a tué.

C'était moi qui devais mourir ce soir-là, je le voulais. J'aurais DÛ mourir. Quand j'y pense, encore maintenant, j'ai tellement envie de revenir en arrière. Avoir le temps de mourir, décharger ma famille du poids que j'étais, que je suis toujours. Libérer Naël, libérer Moh, me libérer de cette douleur infinie qui me comprime la poitrine depuis deux ans, et même plus.

J'y ai vraiment cru sur le moment, j'ai senti la mort venir, j'ai cru que j'allais enfin être soulagée. Je n'avais pas de regret, juste hâte que ça se termine. Mais deux personnes sur cette terre tenaient un peu trop à moi pour me laisser filer

Et aujourd'hui, je ne suis plus la seule à être coincée dans mon corps.

Enfin, ne croyez pas que je me mets au même niveau de souffrance que Moh, même s'il ne souffre pas physiquement, ça doit être tellement dur moralement. Enfin j'en sais rien, c'est difficile à se figurer. Ma mère passe son temps libre avec lui, tout le temps. Elle n'est plus partie en vacances depuis deux ans.

Mon père... Il le vit mal. C'est très net, ça le révolte au plus haut point, il évite le sujet, il évite Moh, il ne supporte pas cette situation.

Et moi... La culpabilité me ronge, à me faire vomir certains soirs, lorsque j'y pense trop, à me réveiller la nuit tremblante et suante parce que j'ai encore une fois rêvé que je le tuais.

J'ai vécu des trucs pas franchement faciles quand j'étais adolescente, mais rien ne m'a jamais fait plus mal que cette culpabilité. Elle m'étouffe toujours suffisamment pour me faire suffoquer continuellement, mais jamais assez pour m'asphyxier complètement.

Est-ce que c'est égoïste d'avoir à peine dix-huit ans, d'être en bonne santé, et de vouloir mourir, quand tant d'autres personnes voudraient pouvoir vivre pleinement et en sont incapable ?

Oui bien sûr.

Mais ces choses-là ne sont pas rationnelles et croyez-moi, si je pouvais donner la moindre parcelle de la vie qui m'habite à des gens qui en ont plus besoin que moi, je le ferai.

Vous mettez un énorme hamburger devant quelqu'un qui n'a absolument pas faim, au point d'avoir envie de vomir, savoir que quelqu'un meurt de faim dans un pays lointain ne changera rien, il vomira quand même si on le force à manger son burger.

Pour moi c'est pareil, mais avec la vie.

Avant de commencer à lire cette partie, vous devez partir avec deux certitudes en tête :

La première, c'est que d'une certaine façon, vous finirez par vous attacher à moi.

La deuxième, c'est que quoi qu'il arrive, je vous briserai le cœur.

Ce qu'on laisse à nos mômesWhere stories live. Discover now