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-Annie! Vous pouvez apporter le thé!
-J'arrive tout de suite Madame.

Madame reçoit des invités aujourd'hui, c'est chose rare, Madame n'aime pas les gens, elle est aigrie et mauvaise, je ne sais pas ce qui a pu la rendre aussi méchante, elle a tout dans la vie, un mari, une belle maison, de l'argent, deux beaux enfants qui ont réussis. Sa fille a épousée un duc, très influant, il était très convoité par la bourgeoisie, mais c'est Mademoiselle qui a eu la chance de se marier avec lui.
Son fils, je ne le connais pas, à leur service depuis 2 ans, il était déjà partit pour l'armée, et n'est toujours pas rentré à la maison. Il est partit au combat, comme tous les hommes en âge de le faire.
Monsieur, lui, est un homme aimable et gentil. Toujours poli , il n'oublie jamais de me remercie et de me dire s'il vous plaît quand il me demande quelque chose. Contrairement à Madame, qui me fait bien sentir que je suis à ses ordres.

-Enfin, vous avez pris votre temps! Ma chère amie, vous me disiez avoir des nouvelles du front?
-Oui, ma chère, il se dit que beaucoup d'hommes vont rentrer. Mais il se dit aussi qu'il y a des blessés plus ou moins grave.
-Mon dieu! Je n'ai pas eu de nouvelles de mon fils depuis plusieurs semaines, j'espère qu'il n'a rien.
-Je suis sûr que tout va bien, vous en auriez été informée.

Je sers le thé et les petits gâteaux que la cuisinière a spécialement confectionnés pour l'occasion. Ils ont l'air succulent , j'espère qu'il en reste en cuisine, je suis une gourmande et ça se voit.

Ces dames continuent de discuter, principalement sur le dos des gens de la ville. Madame aime colporter des ragôts sur les femmes dont les époux sont partis à la guerre.
Je reste debout près de la porte, prête à exécuter les ordres de Madame, le temps est souvent long dans cet emploi.
Je reste parfois des heures, là, à écouter Madame, à la regarder manger. Je connais les fresques sur les murs et le plafond par coeur. Le soir, mon dos me fait atrocement souffrir. Bien sûr, mon rêve d'enfant n'était pas de finir servante, mais la vie en a décidé autrement, et il a bien fallu que je survive alors j'ai pris le premier travail qui s'offrait à moi. J'espère trouver autre chose, quitter cette ville, qui ne me rappelle que de mauvais souvenirs.

Après 2H de visite, l'invitée de Madame part, je débarrasse le plateau et le ramène en cuisine, espérant toujours y trouver des gâteaux.
Nous ne sommes pas malheureux ici, nous avons droit à trois repas par jour mais Madame ne nous autorise pas quelques gourmandises, comme des gâteaux. La paie est bonne aussi, comme nous travaillons 6 jours sur 7, nous n'avons pas trop de loisirs de dépenser notre argent, ce qui fait qu'en deux ans j'ai pu mettre pas mal de côté.

Le repas du soir se passe toujours dans le calme j'ai les Rotterberg. Monsieur lit son journal et Madame un magasine, et moi je suis debout, encore. Ma journée va bientôt se terminer, demain c'est mon jour de congé, j'ai prévu d'aller en ville, rendre visite à ma mère, en espérant qu'il ne soit pas là.

Je ne tarde pas à m'endormir, les nuits sont courtes, les journées trop longues.

Enfin, je peux tronquer mon costume pour une tenue plus jolie, j'aime la mode, si j'avais pu j'aurais fait carrière dans cette voie. Le dessin est ma passion, et si j'avais plus de temps je le passerais à coudre, malheureux mon travail ne m'en laisse pas le loisirs. Je ne perds pas espoir, et si je mets de l'argent de côté c'est aussi pour ça, partir à New-York est réaliser mon rêve là bas.

Il fait chaud aujourd'hui, il est encore tôt, mais les gens sont déjà dehors à profiter des premiers rayons du soleil. L'hiver a été rude cette année. Je ne suis pas beaucoup sorti, le manque de manteau, et d'habit chaud m'en ont empéchés.
Devant la maison de ma mère et de son nouveau mari, je reste immobile, je ne suis plus sur de moi, qu'elle va être la réaction de ce beau-père qui pour je ne sais qu'elle raison ne peut pas me supporter. Je sonne à la porte et j'attends.
Personne ne se lève pour ouvrir, seul un "ENTREZ" me réponds.

La maison de mon enfance est toujours aussi délabrée , elle est encore plus sale depuis que je suis partie, je ne suis plus là pour faire le ménage.

-Bonjour maman, c'est moi Annie.
-Tiens mais voilà la catin des bourgeois!
-Bonjour Monsieur.

Il n'a jamais voulu que je l'appelle par son prénom. Il a exigé dès le début que je l'appelle Monsieur.
Mon père est mort, il y a 5 ans, j'avais 15 ans et mon monde s'écroulait, il était mon pilier, mon plus grand fan, tandis que ma mère me regardait à peine.
Il est partit comme tous les matins à la mine, une explosion, un éboulement , vingt morts dont mon père, quand son chef est venu avertir ma mère, je ne pouvais y croire, pour moi mon père était un roc. Ma mère est entrée dans une grande dépression. J'ai dû arrêter mes études pour subvenir à nos besoins, pendant qu'elle pleurait toute la journée.
la vie n'était pas rose, mais je n'étais pas malheureuse non plus. Jusqu'à ce qu'un ami, un collègue de mon père entre dans nos vies. Depuis ce jour, je suis devenue l'esclave, la fille de cet homme mort adoré de tous. Je n'ai jamais compris pourquoi il avait voulu se marier avec ma mère, il n'est pas affectueux avec elle, il n'a pas de gestes tendres. Tout ce que je sais c'est que je suis partie dès que j'en ai eu l'opportunité.

-Tu tombes bien, le sol est dégoutant, il faudrait le laver.
Voilà pourquoi je ne viens jamais dans cette maison, il en profite toujours pour me faire travailler.
Ma mère reste là, à me regarder, sans rien dire. Même pas un bonjour, je ne reviendrais plus, je prends la lourde décision ne plus revoir ma mère, cette femme qui m'a mise au monde et qui pourtant fait comme si je n'existais pas.

"Pour de faux" (ou pas)Where stories live. Discover now