31. Un visiteur

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     De nombreuses semaines avaient passé. Arthur n'aurait su dire s'il était là depuis des mois ou des années. Ses conditions de détention lui étaient devenues insupportables. Il n'était pas sorti une seule fois de son étroite cellule depuis son semblant de procès. Une lourde chaîne entravait ses chevilles, lui permettant tout juste de s'allonger sur son matelas de fortune ou de faire un pas à deux. Si le jeune homme s'était habitué à vivre presque continuellement dans la pénombre, il souffrait beaucoup de l'humidité ambiante qui y régnait. Il craignait de tomber malade et de sombrer dans la folie. Le geôlier qui lui apportait de la nourriture une fois par jour ne lui adressait jamais la parole. Il ne s'approchait pas de lui, se contentant de balancer à même le sol un morceau de pain noir dur comme une pierre, accompagné parfois d'une sorte de ragoût servi dans une écuelle en terre cuite. Arthur avalait tout ce qu'on voulait bien lui donner. Il avait continuellement faim et avait considérablement maigri.

La seule échappatoire qui lui avait été laissée était de se réfugier dans ses pensées. Arthur réfléchissait beaucoup. Il se demandait parfois quelle aurait été sa vie si le plan d'Absalom avait fonctionné correctement. Aurait-il été heureux en menant une fausse existence? Se serait-il seulement rendu compte de la tromperie ?

Il s’interrogeait aussi souvent sur la colère qu’il avait ressentie à l'issu de son jugement. S’il en avait eu la possibilité, il aurait très volontiers réduit en bouillie le roi, son palais et une bonne partie de la cour. Cela voulait-il dire que, même sans ses souvenirs, il était quelqu'un de malveillant ? N'était-ce cependant pas une réaction ordinaire que n'importe qui pourrait ressentir devant l'injustice dont il avait été victime ?

Ce matin-là, alors qu'Arthur était en train de s'imaginer la façon la plus satisfaisante de détruire le palais de Tolone pierre par pierre, un bruit dans le couloir le poussa à lever la tête avec une certaine curiosité. Il était encore bien trop tôt pour le repas et les mouvements dans les cachots étaient rares.

Deux gardes passèrent, encadrant un enfant misérablement vêtu. Arthur se demanda vaguement ce que ce dernier avait fait pour se retrouver là. Il se sentait trop fatigué pour ressentir une quelconque empathie. Ce n'était pas le premier prisonnier qu'il voyait ainsi passer.

Le petit garçon tourna la tête vers lui. Ses lèvres s'étirèrent dans un sourire satisfait. Et il lui fit un clin d’œil.

L'instant d'après, avant qu'Arthur ait pu comprendre quoi que ce soit, l'enfant s'était métamorphosé en un jeune homme aux oreilles pointues et aux cheveux noirs mi-longs. Ses traits enfantins avaient laissé place à un visage impitoyable.

Les gardes s'étaient figés, visiblement aussi stupéfaits qu'Arthur. Le premier perdit la vie sans avoir eu le temps de faire un seul mouvement. Le second avait tout juste soulevé sa lance de quelques millimètres lorsque le coutelas du jeune elfe s'enfonça dans sa gorge. Il s'écroula sur le sol avec un gargouillis presque inaudible.

Arthur comprit alors qui était la personne qu'il avait devant lui.

— Salut, lui dit le Prince Noir en se tournant vers lui avec un grand sourire, comment vas-tu ?

*

— Qu’est-ce que… Comment… bredouilla Arthur pendant que l’elfe cherchait la clef ouvrant la serrure dans le trousseau ensanglanté qu'il avait ramassé sur le premier cadavre.

— Pardonne-moi d’avoir attendu si longtemps, lança distraitement le Prince Noir, j’ai dû attendre que la sécurité autour de toi s’amoindrisse. Qu’est-ce qui t’a pris de te faire prendre ?

— Je ne l'ai pas fait exprès, protesta Arthur, vexé.

Il jeta un regard nerveux dans le couloir, se demandant si quelqu'un allait venir. L'elfe semblait en revanche parfaitement serein. Il finit par trouver la clef qui déverrouilla la porte. Il ouvrit alors la grille et entreprit de détacher la chaîne de la cheville d'Arthur.

Amnesia. La geste d'Arthur Montnoir, livre 1 [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant