Chapitre premier

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Tarantio était un guerrier. Avant cela, il avait été marin, mineur, marchand de chevaux et apprenti clerc auprès d'un vénérable écrivain. Avant encore, un enfant tranquille et solitaire. Il vivait avec son père veuf, qui buvait le matin et pleurait l'après-midi.
Sa mère était acrobate au sein d'une troupe de gitans itinérant qui se produisait au banquet et aux réunions publiques. Il avait hérité d'elle ses pieds agiles, son tour de main et son air élégant, sombre et basané. La peste l'avait tué alors que Tarantio n'avait que six ans. Il ne se souvenait que de la fille-mère qui le lançait dans les airs en riant. Il pensait n'avoir rien hérité de son père. Sauf peut-être Dace, son démon intérieur.
Un vent froid murmura dans la caverne. Les cheveux noirs bouclés de Tarantio avaient été coupés ras pour éviter les poux, et le courant d'air le fit frissonner. Il remonte le col de son épais manteau gris et, tirant une de ses épées courtes, la déposa à portée de main. La pluie tombait dru au dehors, il entendait l'eau ruisseler sur les parois de la falaise. Ceux qui le poursuivaient s'était sûrement réfugiés autre part.
Il pourrait être à deux pas, en embuscade, prêt à nous trancher la gorge, murmura la voix de Dace.
Ça te plairait, Dace. D'autres hommes à tuer.
Chacun ses goûts, répondit Dace aimablement.
Tarantio était trop fatigué pour prolonger le débat, mais l'intervention de Dace le fit ruminer. Sept ans plus tôt, la guerre s'était abattue sur les duchés, tel un ouragan doué de conscience, et avait engouffré les hommes dans son cœur de rage. Dans le maelström tourbillonnant de sa colère, elle les avait nourris de haine, envahis de l'amour de détruire. Le Démon de la Guerre avait bien des visages, et aucun de n'était beau à voir : des yeux de mort, un manteau de plaie, une bouche de famine, et des mains de sombre désespoir.
Dace et la guerre était fait l'un pour l'autre. Dace était aux anges dans le cœur gourmand de la bête. Les hommes l'admiraient pour ses talents mortels, ses dons d'assassin. Il le recherchaient comme un talisman.
Dace tuait des hommes. Il fut un temps où Tarantio savait combien d'hommes étaient tombés sous ses lames. Il fut un temps avant cela où il s'était rappelé chaque visage. À présent seuls deux d'entre était ancré dans sa mémoire : le premier, les yeux exorbités, la mâchoire tombante, son sang gouttant doucement sur des draps de satin ; et l'autre, un maigre voleur barbu doublé d'un tueur, dont Tarantio portait à présent les lames.
Tarantio mit deux autres bûche dans le feu et observa l'ombre des flammes danser sur les murs de la caverne. Ses deux compagnons étaient étendus sur le sol. L'un dormait et l'autre était en train de dormir.
Pourquoi est-ce que tu penses encore au massacre de la plage ? demanda Dace.
Tarantio frémit devant l'éclat des souvenirs.
Sept ans auparavant, le vieux vaisseau s'était échoué au cours d'une tempête, mât démonté et voiles nouée, étalée sur la paroi de la falaise. L'équipage était assis autour de feux. Ils parlaient en riant et jouaient aux dés. Ils étaient vivants. Leur rires de soulagement se répercutaient contre les falaises et vagabondaient plus loins dans les bois hantés par les ombres.
Les tueurs avaient surgi en silence de ces bois comme des démons. La lueur des flammes se reflétait sur les haches et les épées qu'il brandissaient. Les marins sans défense n'eurent aucune chance et furent abattus sans pitié. Leur sang avait souillé le sable.
Comme toujours, Tarantio était resté assis à l'écart, adossé aux rochers, les yeux levés pour observer les étoiles lointaines. Il s'était agenouillé en entendant les premier cris, et avait observé le massacre à la lumière de la lune. Sans armes et inexpérimentés, le jeune mari avait été incapable d'aider ses camarades. Il s'était accroupi en tremblant sur les pierres froides pour se cacher. La marée montante clapotait contre ses jambes. Il entendait les voleurs piller le bateau, forcer les écoutilles et décharger le butin : des épices et des alcools des îles, de la soie du continent méridional, et un chargement de lingot d'argent destiné à l'Hôtel des Monnaies de Loretheli.
Peu avant l'aube, un des assaillants s'était dirigé vers les rochers pour s'y soulager. La terreur avait fait paniquer Tarantio, et Dace avait jailli en lui, illuminant l'intérieur de son crâne. Dace s'était dressé devant le pillard, et avait écrasé une pierre de la taille d'un poing sur sa tête. Le voleur s'était effondré sans un bruit. Dace l'avait tiré hors de vue de ses camarades, puis avait sorti un couteau de sa ceinture pour le poignarder à mort.
L'assaillant possédait deux épées courtes. Leur pommeau noir était fermement lacé de cuir. Dace avait détaché son baudrier et l'avait attaché à sa propre taille. Après avoir soulagé l'individu de sa bourse rebondie, Dace s'était esquivé par les rochers et avait laissé le site du massacre loin derrière lui.
Une fois à l'abri, la panique dissipée, Tarantio avait refoulé Dace pour reprendre le contrôle de lui-même. Dace n'avait pas protesté : sans la perspective de violence et le besoin de tuer il se lassait facilement.
Seul et sans amis, Tarantio avait parcouru les cinquante kilomètres à l'ouest qui menaient à la ville corsaire de Loretheli, à la recherche d'un poste sur un nouveau bateau. C'est alors qu'il avait rencontré Sigellus le Bretteur. Tarantio pensait souvent à lui, et aux périls qu'ils avaient affrontés ensemble. Mais ces pensées étaient toujours empreintes de tristesse et de la griffe de  velours du regret lorsque son maître trouva la mort. Sigellus avait compris pour Dace. Pendant l'une de leurs séances d'entraînement, Dace s'était déchainé, et avait tenté de tuer Sigellus. Le bretteur avait été trop compétent pour lui à l'époque, mais Dace parvenu à le blesser avant que Sigellus ne pare son coup et ne lui enfonce son poing ganté de fer dans le menton, l'envoyant valser.

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