Au-delà des rêves (En pause)

Chapitre 4: Grand (3e partie)

Il lui fallut à peine quelques instants pour reprendre son souffle, mais elle garda malgré tout la tête baissée.

Une nuit entière à méditer sur cette maudite lettre... ça a dû me griller quelques neurones... songea-t-elle.

Lorsqu'elle se redressa, son regard avait repris tout le sérieux de la minute d'avant, mais l'on pouvait maintenant y déceler une certaine... curiosité.

- Tu es audacieux... ou peut-être un peu bête.

Le sourire du jeune homme disparut, et ce dernier la dévisagea, interloqué.

- Pardon... ?

Elle laissa paraître un sourire légèrement moqueur.

- Tu me fais tant confiance... C'est toujours comme ça la première fois que tu rencontres quelqu'un ?

Joshua avait balancé les quelques idées qui lui étaient passées par la tête, sans y prêter une réelle attention. Il sembla chercher ses mots quelques instants, puis se renfrogna. L'adolescente leva les yeux au ciel.

Il rougit. Est-il fâché... ou plutôt gêné ? En tout cas, c'est un vrai gamin...

- Bon... Si l'on souhaite sérieusement discuter, il serait peut-être temps de mettre les choses au clair.

Elle sortit un papier de sa poche.

- « À l'endroit où les serpents royaux se croisent... » ?

Un peu perdu, au départ, devant le regard interrogateur que lui lançait Lizbeth, il finit par comprendre ce qu'elle attendait.

- « ... la place de chacun vous sera révélée », compléta-t-il.

- Bien... « Le moment venu... » ?

- « ... le croisement de la lumière et des ténèbres vous guidera à travers les profondeurs de la Terre, jusqu'à atteindre les cieux »

Lizbeth rangea son papier dans un soupir et se permit de relâcher sensiblement les muscles de ses épaules. Elle les avait tenues contractées depuis l'arrivée du jeune homme, prête à affronter... l'un d'eux. Les jeunes gens revinrent vers l'arbre avec un dernier regard sur sa toison verdoyante, celle qui les abritait des chauds rayons solaires. Presque machinalement, ils posèrent leurs sacs et grimpèrent chacun sur une large racine pour s'y étendre.

Il faisait beau, et la température, à l'ombre, était parfaite. Aucun d'eux n'osa briser le silence paisible de la clairière. Puis, une légère brise, chaude, douce, vint leur caresser les joues, levant du sol une odeur de terre humide et d'herbe. Avec le vent, le bruissement inaudible du feuillage du Grand Arbre se changea en... quelque chose de plus... merveilleux.

Un géant semblait jouer avec l'immense couronne d'émeraudes.

Il la caressait, pour faire se frotter les petites pierres les unes contre les autres, comme un gigantesque carillon. Les branches les plus fines étaient agitées au rythme de son puissant souffle, laissant tomber des milliers de feuillettes en une poussière scintillante d'un vert précieux.

Les paupières lourdes, les deux adolescents contemplaient ce spectacle...

Une idée simple, qui leur traversa l'esprit à tous les deux...

Magique...

Ils étaient de retour en enfance. Deux petits bouts d'homme et de femme, contemplant la première neige de l'année.

Joshua lâcha un profond soupir.

Peut-être est-elle au courant, elle ?

Il demanda à la jeune fille dans un murmure.

- Dis-moi ? Est-ce que la tienne aussi... je veux dire, l'enveloppe... Est-ce qu'elle n'aurait pas...?

Tournant la tête, Liz vit l'étrange expression du jeune homme et comprit immédiatement ce qu'il voulait lui demander. Elle agita la main comme si la réponse avait été évidente et commença à lui décrire la scène. Un éclair bleu l'avait brusquement aveuglée, l'enveloppe s'était entièrement consumée...

- ... et tu as retrouvé la lettre intacte sur le sol de ta chambre.

Elle fronça les sourcils. Quelque chose passa dans son regard... une lueur un peu froide dans ces petites pierres brillantes.

- Oui, en quelque sorte...

En quelque sorte ?

Elle extirpa à nouveau, des replis de sa robe noire, son morceau de papier et l'observa longuement, comme plongée dans une profonde réflexion. On aurait dit qu'elle s'imaginait que quelque chose allait soudainement lui être révélé à travers cette feuille. Elle ne remarqua pas le regard intrigué que lui lançait Joshua, surpris de la voir si... détachée. Son expression n'aurait pas été plus impassible s'ils avaient discuté de la pluie et du beau temps... Il soupira profondément et ferma les yeux, las.

Une enveloppe qui se désintègre au toucher...

En y repensant, sa propre réaction face à cette... surprise n'avait pas été des plus communes. Il se revoyait, quelques semaines auparavant, enfermé dans sa chambre à contempler d'un air ahuri l'enveloppe consumée au creux de sa paume. Plutôt que de se précipiter à l'extérieur pour hurler à sa mère que sa lettre venait de bruler, il s'était relevé, avait ramassé le papier qui trainait au sol et lu l'étrange texte qui y était inscrit...

« À l'aube, dirigez-vous vers le royaume du géant qui a traversé les siècles. À l'endroit où les serpents royaux se croisent, la place de chacun vous sera révélée. Laissez-vous diriger. Le moment venu, le croisement de la lumière et des ténèbres vous guidera à travers les profondeurs de la Terre, jusqu'à atteindre les cieux... »

Comment avait-il pu arriver à la conclusion que ce message provenait de l'école qu'il espérait tant intégrer ? Lui-même l'avait oublié... Peut-être ne l'avait-il jamais su.

Il sentit encore sur son visage le vent chaud et doux typique d'un après-midi d'été. Cette sensation réconfortante, couplée à l'agréable bruissement des feuilles d'arbre, aux discrètes stridulations des insectes chanteurs et aux charmants gazouillis des oiseaux. Il sentait l'écorce rêche et robuste de l'arbre à travers son costume... Il songea un instant à se relever pour éviter de le salir, mais comprit qu'il n'en avait plus la force. Il prit une grande inspiration, humant au passage le subtil arôme des herbes sauvages aux alentours.

***

Un murmure, une voix...

Il n'avait guère entendu ce qu'elle disait et se refusait à lever la tête, ou même à ouvrir les yeux, profitant au mieux du paisible moment. La voix se fit de plus en plus lointaine, de plus en plus ténue. Jusqu'à disparaitre dans la brume...