Chapitre 4 (Partie I)

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Apprendre à signer est plus laborieux que je ne le pensais. Tous ces mouvements à retenir, les enchaînements, les définitions de certains termes aussi... La fluidité des gestes, la souplesse des articulations... Ma mémoire ne sait déjà plus ce que « laborieux » veut dire et Aira veut que je retienne des combinaisons complexes de gestes pour m'exprimer ?

Comment suis-je censée faire ça ? D'après Aira, j'ai besoin de temps et de contact humain. Selon elle, le contact des autres donnera à mon cerveau la motivation nécessaire à l'apprentissage de tous ces gestes. Je ne sais pas trop ce que je pense de cette...théorie ? Non, Aira semblait sérieuse lorsqu'elle m'a dit cela.

Après, peut-être qu'une théorie désigne quelque chose de sérieux ? Mon cerveau a l'air de penser que non. Cette information, plutôt. Cependant, si elle a raison, je ne sais pas comment demander au médecin de me laisser voir d'autres patients.

Je ne peux même pas me faire comprendre auprès d'Aira ou de l'infirmière. Je n'arrive pas à retenir le mot « bonjour »... Mais, j'ai plutôt bien retenu le mouvement associé à la tristesse. Il est relativement simple, en fait : placer ses deux mains devant son visage, puis les faire descendre en faisant une grimace qu'Aira nomme « la tête triste ». Ce geste-là, ça va.

Il est difficile d'apprendre avec le robot le moins expressif de l'hôpital. Je sais que je la juge durement, mais Aira ne présente réellement aucune émotion. Elle est capable de me les montrer, mais incapable de les faire ressentir. Et la différence est notable.

Elle a tenté de m'enseigner comment dire « bonjour », ou « au revoir ». Mais je n'ai pas réussi à retenir ces gestes. Il faut dire que j'ai été vite distraite, presque quinze minutes après son arrivée, le petit-déjeuner était là. En retard, selon Aira, mais comme je ne comprends rien à ces histoires d'horaires, je n'ai rien remarqué.

L'infirmière était de retour, avec son éternel sourire et un plateau, sur lequel reposaient plein de petites choses. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'avais envie de faire quoi que ce soit avec la nourriture posée sur le plateau, mais ça m'intriguait. Aira s'est levée, a échangé quelques mots avec l'infirmière qui paraissait soucieuse.

Parce que oui, même si Aira n'est pas douée pour les montrer, elle m'a permis de découvrir de nouveaux mots. Être soucieux, c'est quand un petit pli se forme entre nos deux sourcils tandis qu'on se prend le menton d'une main. C'est rigolo. Mais d'après Aira, ce n'est pas bon signe.

Du coup, je les ai regardées se parler dans cette fameuse langue inconnue pendant plusieurs minutes, avec leurs têtes soucieuses qui, de temps à autre, me regardaient d'un œil sévère. Ah oui, elle m'a aussi dit que « sévère » c'était ce regard qui me faisait frissonner de peur. Plutôt mauvais, comme émotion, la peur. Du moins, c'est ce qu'Aira m'a dit.

Après quelques minutes, j'en ai assez de les regarder parler alors je porte mon regard sur le fameux petit-déjeuner. C'est servi sur un plateau, si c'est le bon mot. Quelque chose de plat, rectangle, un peu creux pour accueillir plusieurs...plats. C'est marrant, « plat » et « plats » sont les mêmes mots, mais n'ont pas le même sens... C'est assez étrange.

Ma langue est peut-être aussi étrange que celle des robots. Si je m'en souvenais mieux, peut-être que je saurais pourquoi certains mots s'écrivent pareil, se disent pareil, mais n'ont pas le même sens. Oh, quand je pourrai, je demanderai à l'infirmière.

Je ne pense pas qu'Aira sache, elle n'a pas été créée pour cela. Elle ne sait que s'occuper d'enfants muets, comme elle l'a très bien expliqué. Mon ventre me rappelle à l'ordre en faisant un petit bruit plutôt désagréable et je reste silencieuse, envahie par un sentiment que je ne connais pas. Les deux femmes-robots se tournent vers moi et je baisse la tête, sans trop savoir pourquoi.

Felidae [Parties I et II]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant