Chapitre Seizième -Raphaël

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Raphaël

« Raphaël ? »

Je me fige, les mains dans les poches et la capuche noire de mon sweat rabattue sur ma tête. Mon pied droit est sur la première marche de l'escalier mais je n'arrive pas à mettre celui de gauche. Je souffle discrètement et sans me retourner je réponds.
« Que veux-tu ?
-J'ai besoin de te parler Raphaël, c'est important. »
Bien sûr, le peu de foi où il m'adresse la parole, c'est parce que c'est important.
« Je t'écoute.
-Regarde-moi, Raphaël, s'il te plaît » dit-il après hésitation.
Je me tourne vers lui.
Il est habillé d'un trois-pièces et d'une cravate bleu. Ses cheveux poivre et sel sont courts et plaqués en arrière. Un petit mouchoir, celui que maman lui avait offert, dépasse de sa poche et une montre en argent est attachée à son poignet.
Bien qu'il soit habillé de la façon la plus distinguée possible son visage ne laisse pas de place au doute.
Il est le fantôme d'un homme autrefois beau, puissant, heureux.
Mon père a plus vieilli en ces 10 dernières années qu'il ne le fera de toute sa vie.
Je hoche la tête et le suis dans le salon, étonné que Helen et Gabriel y soient déjà.
Mon père s'assoit sur le canapé à coté d'Helen tandis que je reste debout derrière Gabriel qui est avachi sur le canapé en face.

« Je ne sais pas très bien comment aborder le sujet.
-Ne tourne pas autour du pot. »
Je donne une tape sur la tête de Gabriel qui me fusille du regard tandis qu'Helen tient la main de mon père y faisant des cercles avec son pouce.
« J'ai reçu un appel du centre hier. »
Mon cœur rate un battement, mes mains deviennent moites et j'espère de tout cœur que mes oreilles me font défaut.
« Elle....elle a tenté de mettre fin à sa vie. »
Un silence de plomb s'abat dans le salon. Et une tension de plus en plus électrique s'installe. Ce n'est qu'une question de temps avant que tout explose. D'abord Gabriel, puis moi.
Ce dernier se lève, le dos raide, les muscles bandés et la mâchoire contractée. Son regard voilé ne dévoile plus rien, il sort et j'entends la porte d'entrée claquer quelques secondes après puis une voiture démarrer. Il ne veut pas en savoir plus et c'est compréhensible. J'observe Helen puis mon père l'esprit vide.
Ce dernier a les yeux baissés au sol.
« Elle n'y est pas arrivée, ils l'ont arrêté à temps. Ils demandent à ce que quelqu'un vienne. »
Je fronce les sourcils en l'observant. La demande n'est pas explicite, mais je comprends.
« Non. »


Il relève la tête d'un coup sec, les yeux noirs, il ouvre la bouche, puis la referme avant de la réouvrir.
« Raphaël, commence-t-il à gronder doucement, menace d'un orage qui risque d'éclater.
« La réponse est la même. Tu l'as parfaitement entendu, je n'ai pas besoin de me répéter. » Dis-je en me dirigeant vers la porte. Mais mon père est rapide, en quelques secondes, il s'est levé et m'attrape le bras si fort que si je n'étais pas suffisamment musclé il aurait pu me faire mal.

« Écoute-moi... je ne peux pas, il n'y a que toi qui peux.
-Ce n'est pas une question de pouvoir. Tu ne veux pas y aller et il est hors de question que j'y aille à ta place.
-Ne parle pas d'elle comme ça. Tu n'y es pas allé depuis...
-C'est vrai, et pour l'instant, je n'irai pas.
-Espèce de...
-Écoute-moi bien, oui, je n'y suis pas allé et non, je ne compte pas y aller. Il en est hors de question. »

Silence.

« C'est ta sœur. » Dit-il en serrant les dents.
Cette fois, je vois rouge, d'un calme olympien, je le toise, il est un peu plus petit que moi.
« C'est ta fille. » Je fais une pause avant de continuer « Et, c'était ta femme. »
Ce n'est pas correct de remuer le couteau dans la plaie comme ça, mais je ne peux pas m'en empêcher. Mon père peut me reprocher ce qu'il veut. Mais il ne peut pas m'en vouloir parce que j'étais là, à chaque fois.

Pour la mort de maman

Pour la chute d'Eva.

Lui, n'était pas là. Je ne lui en veux pas. Mais je ne l'accepte plus.

Ses yeux s'écarquillent de stupeur et il me lâche sur le coup de la surprise. Je jette un regard à Helen qui observe mon père et sort.

Dans mon 4x4, je frappe le volant en grognant. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'Eva le fasse. Je passe une main dans mes cheveux quand je reçois un message de Victoria et démarre à la minute.



Tobias est amochée, mais ça ne change rien à sa beauté. On dirait une guerrière, une guerrière qui a tout perdu.
Et les guerrières qui ont tout perdu sont les plus dangereuses. Elles détruisent et se font détruire par la même occasion, mais ça n'a plus d'importance parce que leur vie n'a plus d'importance.

Et Tobias me fait penser à ça.

Parce que quand elle se bat, il n'y a aucune lumière dans ses yeux.

Seulement un soulagement.

Et ça me serre le cœur si fort que ça me fait mal.
Je suis ami avec elle, elle m'a accepté dans sa vie. Peut-être pas complètement, mais petit à petit. Quand je lui ai posé la question, je m'attendais à un refus catégorique. On aurait pu voir les rouages tourner dans son cerveau, pesant le pour et le contre surtout le contre de cette relation, mais elle avait fini par dire que oui elle me considérait comme un ami.
Je ne sais pas trop ce que j'avais ressenti.

Une lumière peut-être au milieu de ce couloir si sombre que Tobias semble se trainer derrière elle.
Un accès à sa vie qu'elle semble tant vouloir ne pas dévoiler.

Tobias n'est pas quelqu'un de sain. Elle est si tourmentée qu'elle peut me faire sombrer avec elle. Mais j'ai pris ce risque en lui proposant de devenir son ami.
J'ai pris le risque de sombrer une seconde fois.

Elle m'intrigue, elle m'impressionne. Je n'ai jamais vu quelqu'un comme elle.
Indifférente, au monde qui l'entoure, hargneuse, en colère et pourtant si douce. Je l'ai vu s'occuper de Victoria la première fois que l'on s'est rencontrés, ses gestes étaient doux, attentionnés si différents de maintenant.
Maintenant, ils sont durs, brutaux, hargneux.

Elle sait se battre, c'est indéniable, ses gestes sont calculés et ne laissent pas de place au doute.

Elle s'est battue si longtemps qu'à présent, c'est son seul remède contre sa douleur intérieure.

Et je ne sais pas comment l'aider. J'ai beau chercher toutes les solutions, je n'arrive pas à en trouver.

Elle ne veut pas se confier, et même si je lui posais la question elle ne me répondrait pas et je risquerai de la perdre.

C'est une impasse et pourtant, je ne peux pas me résoudre à la laisser partir, pas maintenant, peut-être jamais.

Je l'observe, impassible et pourtant si touché par ce que je vois. Elle est en sang, en lambeaux, mais elle ne s'arrête pas ce qui la rend encore plus forte, encore plus puissante.
Quand la cloche sonne, elle sort l'air de rien, regarde Victoria puis me fixe une demi-seconde.

« On peut y aller maintenant » et ça s'arrête là, rien d'autre.
Elle sort sans regarder en arrière, Victoria derrière elle et je les suis. On s'écarte sur notre chemin. À l'extérieur, quand personne ne peut nous voir, Tobias s'autorise un râle de douleur et se penche en avant les mains sur les genoux. Victoria s'approche d'elle, mais elle l'arrête d'un signe de la main. Elle a commencé toute seule, elle doit s'en sortir seule. Victoria me regarde, le regard rempli d'inquiétude, mais je ne dis rien parce que ça ne rime à rien. Quoi qu'on puisse dire, quoiqu'on puisse faire Tobias ne nous écoutera pas, nous l'avons tous les deux compris, il ne reste plus qu'à être présent.


« Rentre Victoria, ne t'inquiète pas, je vais gérer ça. » Dis-je en observant Tobias un peu plus loin en train de se griller une clope.

« Tu es sûr ? »
Je hoche la tête en signe d'approbation et Victoria sait que ça ne sert à rien d'insister alors elle jette un dernier regard vers Tobias avant de se diriger vers sa petite voiture rouge. Hésitant, je m'approche de Tobias, elle me regarde sans me voir, perdue dans ses pensées. Je l'observe, son œil est un peu fermé et rougit, un bleu orne la moitié de son visage et sa lèvre inférieure est fendue, son corps doit être dans le même état.

« On rentre ? »

Elle hoche la tête et me suit jusqu'à mon 4x4 noir. Elle ne dit rien et moi non plus et pourtant la voiture n'est pas chargée de tension comme elle l'est d'habitude quand Tobias se trouve dedans.

« Où tu vas ?
-J'aimerais te montrer un endroit. »

Elle tourne la tête vers moi, le regard perdu.

« Tranquillise-toi, tu vas aimer.
-Raphaë....
-Hé, amis, on a dit non ? Je te montre juste un endroit, je ne vais pas te faire de mal. »

Dès que je prononce ces paroles, elle se crispe et il faudrait être aveugle pour ne pas voir que j'ai peut-être touché un bout du problème. Je n'y pense pas, pour le moment.

Nous arrivons quelques minutes plus tard. Tobias sort, je me poste à coté d'elle et je l'observe.

Ses yeux se perdent, elle est impressionnée et ne le cache pas, pour une fois. Ses cheveux volent au vent et sa bouche est entrouverte. Quand je vois un début de sourire se pointer je relâche ma respiration.

C'est un sourire hésitant, un peu bancal, un vrai sourire.

Elle tourne la tête vers moi et ça me coupe le souffle. Ses yeux sont remplis de tellement d'émotions que mon cœur rate un battement.
De la tristesse, de la mélancolie, une bienveillance, mais surtout, j'ai l'impression de voir que ce genre d'endroit lui rappelle des souvenirs plus forts que n'importe quoi.

« Merci Raphaël, merci infiniment » me murmure-t-elle.



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