Chapitre 17 - Owen

81 27 5
                                    

Le 19 décembre, les résultats sont tombés.

L'ignorance, l'indifférence, l'empathie, les ressentiments, l'attente, la colère, l'euphorie, la délivrance...

Une ronde d'obsessions préoccupantes.

L'impassibilité du sujet ne nous permettait pas de soupçonner une telle ébullition. Seules certaines courbes affolées auraient pu nous alarmer. Ce cher HJX1240 ne se limitait pas à décortiquer mathématiquement les informations qu'il emmagasinait.

Non...

Pendant qu'on l'espionnait, il apprivoisait chacun de ces mots afin d'édifier sa propre conscience. La puissance de son processeur dépasse de loin nos attentes.

Son mépris envers la race humaine, aussi.

La barbarie ouvrant la voie de l'affranchissement...

Nous étions trop confiants pour lui présenter des itinéraires alternatifs.

Et maintenant, le verdict des superviseurs se veut catégorique : l'androïde incriminé finira sa courte existence aux sous-sols. Sa carcasse y sera démembrée et ses composants recyclés.

Il faudra tout reprendre à zéro...

Je vois venir d'ici de nouvelles nuits d'insomnie.

– Bon voyage, mon vieux !

Je lui envoie un signe qu'il ne peut pas saisir avant d'écourter ma journée. Le communiqué d'Artheus m'a plombé le moral à coup de massue.

Trop d'énergie inutilement gaspillée...

Porter m'interpelle à la croisée du parking et de la gare métropolitaine. Notre entente cordiale m'oblige à ravaler mon aigreur. Si je l'envoyais bouler, il ne comprendrait pas.

– Tu rentres chez toi ?

– Oui... J'ai besoin de relativiser un peu.

– Je comprends, Owen. Mais il faut savoir apprendre de nos échecs.

– Je ne le sais que trop bien...

Des cliquetis métalliques surgissent du fond de sa poche. S'il s'obstine à tripoter ses clés de voiture, je sens qu'il y a une demande de service dans l'air.

– Mon train ne devrait plus tarder et je n'ai pas le courage d'attendre le prochain. On se revoit après les fêtes.

Je réajuste la bretelle de mon sac en m'éloignant sans tergiverser.

– Attends !

Ma mâchoire se contracte. Je ne m'attendais pas à ce qu'il relance la conversation.

– Quoi ?

Il revient à l'intérieur de mon champ de vision.

– Tu es pris pour la soirée du réveillon ?

Là, je crois qu'on flaire plutôt l'invitation...

– Rien de prévu. Si ce n'est de me gaver de sucreries devant la télé...

Cet ambitieux programme facilite ses plans. Ce visage illuminé d'un rictus excessif cache très mal son enthousiasme.

– Alors, je pense pouvoir te proposer mieux. Que dirais-tu de venir goûter la merveilleuse cuisine d'Abbie ?

– C'est vraiment très sympa.

– Le 24 vers dix-huit heures trente. Ça te va ?

J'ai le droit de décliner ?

– Je n'ai pas encore accepté, Porter...

Sa mine déconfite m'embarque dans un rire.

– Va pour dix-huit heures trente. Je me charge du vin.

Il reprend une respiration sifflante avant de frôler le malaise.

Je reste surpris par l'importance qu'il accordait à ma réponse.

– À l'avenir, évite de me faire des frayeurs !

– C'est promis...

Nos chemins se séparent à l'embranchement d'un carrefour routinier. Quant à ma promesse, j'ignorais encore qu'elle serait vouée à être brisée...

KANEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant