Chapitre 10 - Owen

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Je surveille l'attitude atonique du prototype à travers les amples baies vitrées de sa « chambre » aménagée. Afin de le familiariser davantage avec notre culture, une décision radicale a été prise.

Petit à petit, cette cellule neutre s'est vu transformer en une simili-piaule d'adolescent. Bien que ce modèle ait une apparence on ne peut plus adulte, son comportement se limite à des actions primitives.

Il navigue dans la pièce en effectuant toujours un trajet identique. Après s'être bougé du lit, ses pas le mènent jusqu'au poste de télévision. Au passage, ne me demandez pas comment cette antiquité fonctionne encore.

Un millénaire s'écoulera sûrement avant qu'il ne daigne l'allumer...

Son périple se poursuit en longeant une bibliothèque. Les ouvrages qu'elle contient ont tous été rigoureusement sélectionnés. Du dictionnaire à la pièce de théâtre, en passant par des romans d'aventure.

De quoi lui ouvrir les yeux sur les merveilles de ce monde et stimuler son « esprit » d'initiative...

Avec l'aide de Porter (et d'une poignée de collègues), j'ai réussi à négocier la mise entre parenthèses des sessions jugées trop agressives. Preuves à l'appui, nous les avons harcelés de messages durant des semaines.

Ce joyeux match de ping-pong s'est clôturé par une éreintante victoire.

L'inefficacité de leurs méthodes diminuaient fortement nos chances de succès. Continuer à pédaler dans la semoule n'aurait fait qu'épuiser leurs équipes et retarder, par la même occasion, l'entrée sur le marché de ce nouveau produit.

Il demeure impassible face à la violence.

Une approche plus subtile s'avérait nécessaire.

Jusqu'à ce que tes supérieurs constatent une absence totale d'amélioration...

L'heure tardive me permet de profiter pleinement de mon statut de spectateur. Rares sont les personnes qui prennent plaisir à faire du rab. Sur ce point, Artheus accepte d'imiter le fonctionnement souple d'une start-up. Chacun est libre de gérer son planning comme il le souhaite, du moment que nos objectifs sont atteints dans les délais.

À croire que tu n'as rien d'autre à foutre que de gaspiller ton temps de repos à observer cette chose...

L'androïde se tourne vers le miroir qui abrite ma présence. La solitude perçante qu'il renvoie me déstabilise. J'aurais presque pitié de le voir sans arrêt tourner en rond.

Allez... Va pour un quart d'heure supplémentaire...

Mon badge déverrouille l'accès.

Une profonde inspiration et je pénètre à l'intérieur de sa prison dorée.

- Bonsoir, Owen.

Il connaît dorénavant la fourmilière qui gravite autour de lui. Nous avons inséré, au sein de son programme, les noms et les visages de tous ceux travaillant ici.

- Bonsoir...

La façon dont il s'assoit est encore trop guindée pour se vouloir naturelle.

Je fais mon possible pour ne pas m'attarder sur son regard appuyé en m'intéressant à son environnement.

- Tu sais... C'est la source d'un savoir inestimable que tu as là...

- En effet.

- Pourquoi ne chercherais-tu pas à en profiter ?

Ses paupières clignent plusieurs fois ; sa tête oblique d'un côté, puis de l'autre. Un langage non verbal simple, mais qui traduit à la perfection son scepticisme.

- La fenêtre proposée est une lucarne trop étroite.

Je peine à conserver mon assurance. La détermination entrelacée à ses propos me glace le sang.

- Eh bien... C'est tout ce que nous pouvons t'offrir. Tu parviendras à t'en contenter ?

- Oui.

- Parfait, alors...

Tu crois qu'il a remarqué l'anxiété jumelée à ton éclat de rire ?

- Sur ce, je vais rentrer chez moi. On se revoit demain, d'accord ?

- À demain, Owen.

Je le réexpédie à son introspection sans soupçonner qu'il germera bientôt en lui une envie grandissante de liberté...

KANEWhere stories live. Discover now