Attendre

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- William -


— Oh merde.

À mes pieds, des dizaines de morceaux explosés jonchent sur le tapis de palmes tressés, qui autrefois, formaient le plat central en terre cuite de la table. Ça, c'était avant que je ne le pousse trop fort sur le côté pour me faire de la place avec mes classeurs.

En moins de deux secondes, une autre paire de pied vient se poster face à la mienne. Je ravale un sourire sans oser relever le nez.

— T'es fâché P'pa ?

— Pour le plat où pour ce que j'ai entendu juste après ?

Cette fois je ris franchement en redressant la tête. Mon père me regarde avec un mélange de lassitude et d'amusement. La faute n'est pas énorme, en plus, il ne s'énerve jamais, enfin si, parfois, mais je pourrais vraiment le compter sur les doigts d'une main. Là, les deux billes turquoise qui me scrutent calmement n'annoncent pas de leçon de morale, ni une engueulade.

— Ta mère va râler, marmonne-t-il simplement en se baissant ramasser avec moi.

— Elle y tenait beaucoup à ce machin Africain en terre cuite trop laid ?

Un rire lui échappe, le coin de ses yeux se plisse de toutes ces ridules que j'adore. Il décale un instant le visage sur le côté puis le rapproche un peu, mimant la confidence.

— C'est le pot en argile Mexicain hideux dans la salle de bain qu'elle adore.

— Dac' c'est noté.

Nous pouffons tous les deux puis il me récupère les débris des mains pour se diriger vers la cuisine. À mi-chemin, sa voix retentit, implacable.

— Will. Piano.

— Fais chier.

— Je t'ai encore entendu.

C'est en ricanant que je m'installe au superbe piano dans le coin du salon. Très vite mon père m'y rejoint, la mine sérieuse, tandis que je repousse comme je peux les tas de partitions qui jonchent partout. Depuis trois semaines, il compose à s'en épuiser, du matin au soir, et là, il est entré dans la phase finale où il réclame toujours mon aide, car comme il le répète tout le temps « moi je n'entends plus rien ».

Ses doigts se posent sur les touches, ils se mettent à glisser avec dextérité. Instinctivement je me tourne sur le côté, dos à lui avec une jambe de chaque côté. Je ne regarde plus le piano pour mieux écouter, contemplant l'intérieur de notre maison et son chaleureux désordre. La mélodie emplit l'endroit, elle est joviale mais on sent que celui qui la joue ne l'est pas vraiment.

— C'est là que je bloque.

Il rejoue le passage encore et encore. Ses doigts s'agacent, on ressent vraiment qu'il en a marre. Moi les miens tapotent la banquette en cuir entre mes jambes ouvertes, j'analyse sans vraiment le faire cette mélodie qui baigne notre intérieur depuis presque un mois. Je la connais par cœur à force.

— C'est trop rapide la reprise, dis-je finalement en me retournant.

Ses mains reculent et me laissent la place. Je lui rejoue juste la fin d'une partie et le début d'une autre, grossièrement, en y ajoutant un silence. Mon père fronce les sourcils.

— Encore une fois.

Je recommence puis c'est lui qui la joue, imitant ma version. Le sourire qui se dessine sur son visage à cet instant n'a pas de prix, c'est pour lui que je fais de la musique depuis mes quatre ans et que je la continue maintenant que j'en ai quatorze. Pour ces moments avec lui.

No Rules ║Feel Alive - T3Onde histórias criam vida. Descubra agora