36 - Votre beauté si claire

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- Hé, salut ! Comment tu vas ?

Je sursaute en me retournant. C'est Vincent, le timbré de la bibliothèque universitaire ! Surnommé "le psychopathe de la BU" ! Un dégénéré à moitié pervers, qui passe son temps à redoubler depuis des temps immémoriaux, et qui utilise la détresse des jeunettes de première année pour les guider dans les rayonnages et leur extorquer leur numéro de téléphone ! Oh, non, pas lui ! Misère ! Qu'ai-je fait pour mériter une journée aussi funeste ?

- Aaaah, salut...

- Alors, tu es passée en maîtrise ?

- Oui... en effet...

J'essaie sans en avoir l'air de m'éloigner de lui mais il me poursuit de ses assiduités.

- Écoute, Vincent, il faut que j'y aille, là...

- Ah oui, tu vas où ?

- Heu...

Gast ! je n'avais pas prévu cette question. Il me regarde en ouvrant encore plus grand ses yeux bleus clair déjà très globuleux. Avec ses cheveux bruns et sa barbe rousse, on croirait qu'il est né pour effrayer les enfants. Une vraie tête d'assassin...

- ... je vais... à l'IEJ !

L'institut d'études judiciaires. C'est l'organisme qui prépare au concours d'avocat. Autrement dit, il concerne les meilleurs étudiants, retenus après leur DEA ou DESS et qui poursuivent leurs études au-delà de la cinquième année. C'est le sanctuaire d'excellence de la faculté. Avec un peu de chance, Vincent va renoncer à m'y suivre.

- Parfait, je t'accompagne !

Enfer et damnation... Me voilà, traversant le couloir aux tableaux de liège pour rejoindre le hall, non loin du bureau de Marie-Christine que je ne fréquence plus depuis un bon moment, et de l'escalier qui mène au premier étage. Je grimpe les marches quatre-à-quatre, espérant ainsi semer mon boulet. Rien à faire, le psycho me talonne. Des années à s'entraîner à la poursuite des étudiantes ! Voilà qui l'a endurci ! Arrivée en haut de l'escalier, je tourne à droite et me trouve dans le couloir de l'IEJ. Comme je le prévoyais, l'endroit est peuplé des meilleurs étudiants de la faculté, des doctorants de droit privé, des vainqueurs des concours d'éloquence, des enseignants les plus prestigieux.

- Alors, on fait quoi maintenant ?, me crache le psycho en me postillonnant sa bave visqueuse à la figure.

- Toi tu restes là, moi je vais rentrer retirer un dossier d'inscription.

Dans l'improvisation de mon chemin de croix visant à me débarrasser de ce pot de glu, c'est tout ce que j'ai trouvé.

- Ah oui ? Tu veux faire l'IEJ ? Je suis impressionné ! Mais c'est vrai que tu sembles tellement brillante ! Ce n'est pas étonnant, une fille comme toi ! Bon, je t'attends ici !

Pitié, Seigneur ! Comment me débarrasser de cette... chose ?! Je suis dos au mur, Vincent en face de moi, quand je reconnais, venant de l'escalier, la haute silhouette de Monsieur le Professeur. C'est peu de dire que mon cœur bondit dans ma poitrine, alors qu'une armée de fourmis rouges s'attaque à mon estomac. Il me reconnaît immédiatement et écarquille les yeux en approchant. A-t-il perçu ma détresse ? Je l'ignore. Je ne peux que lui sourire. Il passe devant Vincent, qu'il dépasse d'une bonne vingtaine de centimètres (comme Nico le jour où il m'a agressée devant son bureau). Du haut de sa force tranquille, il remet à sa place le psychopathe d'un simple regard, qui lui signifie très clairement qu'il n'a rien à faire ici. Sans rien dire, sans rien paraître, sa seule présence, la seule massivité de son corps, sa seule posture suffisent à figer Vincent dans son insignifiance. L'importun détale comme un lapin, sans dire un mot. Raimondo me tend la main, et non seulement il prend la mienne mais il la garde pendant de longues secondes qui me semblent une éternité.

-Hé bien... comment allez vous ? Aahh, voilà : "Devenez magistrat" !, dit-il en désignant du menton l'affiche de l'École nationale de la magistrature, placardée sur le mur derrière moi et qui proclame cette injonction sur fond de robe rouge à hermine blanche.

- On peut dire que l'IEJ a le sens du décor, n'est-ce pas ?, lui dis-je.

Il rit. Oh mon Dieu, il rit. D'un rire masculin et franc, d'un rire assuré et confiant. Il rit en me regardant et il me semble que ses yeux bleus fouillent au plus profond de mon être.

- Comment allez-vous, mademoiselle ?

Il se tient très près de moi. Si près que je pourrais effleurer ses lèvres. Si Renata ou Rory passent par là, je suis fichue. En même temps, je ne l'ai pas vu depuis près de trois mois. Je suis en manque. Mais le couloir fourmille de gens occupés, des étudiants sortent de l'IEJ, des chargés de travaux dirigés y rentrent. Une vraie ruche. Impossible d'être seuls au milieu de cette armée universitaire.

- Très bien, je suis inscrite en maîtrise de droit des affaires.

- Cela se passe bien ?

- Autant que faire se peut, pour l'instant.

Si vous saviez, Monsieur, comme vous me manquez.

- Bien, tant mieux. Je vais moi-même faire connaissance avec mes nouveaux étudiants.

Si vous saviez, Monsieur, comme vous semblez vivant.

- Ah, j'en connais certains.

Attirez-moi vers votre soleil.

- J'espère qu'ils seront au niveau, mais de toute façon, chaque année les promotions comportent leur lot de bons et de mauvais étudiants.

Sortez-moi de ce linceul.

- Cela paraît inévitable, en effet. D'ailleurs nous avons aussi notre lot de mauvais enseignants !

Gardez-moi avec vous.

- Ah, vous avez raison. Hé bien, je vais vous laisser, une réunion m'attend à l'institut. Prenez soin de vous, et surtout, travaillez bien.

Ne me laissez pas seule.

- Je vous le promets.

Il ouvre la porte de l'institut et disparaît. Je reste un instant plantée là, le cœur plein, les mains vides. Puis, sans m'en rendre compte, mes jambes se mettent à marcher, à remonter le couloir vers l'escalier. Plus je m'éloigne et plus ma gorge se serre, plus la frustration m'étrille. Je me réfugie dans les toilettes et me mets à pleurer, comme si mes yeux vomissaient des larmes. Un flux dense et continu, silencieux, le ventre serré. Monsieur. Raimondo. Vous me faites rêver. Dans ce couloir obscur, votre beauté si claire a pris ma liberté, loin des reflux amers.

Monsieur le ProfesseurNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ