Chapitre 17 [2/2] ~ Les Deux Orphelins

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     Un sentiment de froid intense infiltra son être quand la cité ravagée lui apparut. Dissimulé derrière les tours d'ivoires, un astre de glace projetait ses ombres sur leurs façades, s'assombrissait à mesure que le temps – pourtant figé –, s'écoulait.

     Ses pas craquaient sous la neige épaisse. Son souffle ne dégageait aucune buée, n'émettait aucun son. Bien que possédé par la force invisible, il avait conscience de ce qui l'entourait, mais surtout, où celle-ci l'emmenait.

     Le sanctuaire aux parois dorées se dessina à son tour, plus grand, plus mythique qu'il ne l'avait jamais été. Ses reflets divins s'estompaient tandis que les ténèbres s'immisçaient dans le lieu.

     À l'instar de ses précédentes visites, le vieil homme l'attendait devant la porte de l'édifice. Dès qu'il se fut assez approché, il tourna les talons et entra, l'incitant à le suivre.

     Lorsqu'il y pénétra à son tour, il reconnut aussitôt chaque centimètre qui composait le vestibule. Ses murs blancs, infinis. Sa voûte imperceptible à travers laquelle s'échappaient de sinistres murmures. Ses fresques rupestres, contant les légendes du passé. La fissure s'y trouvait toujours, scindant l'image d'un nourrisson aux traits grossièrement peints.

     Il glissa son regard sur l'ancien quand il apparut mystérieusement à ses côtés. Ses yeux noirs et injectés de sang semblaient lire son âme, épier chaque détail de son visage, à la recherche d'un signe distinctif.

— Vous êtes celui qui m'envoyez dans cet endroit, parvint-il à prononcer. Je vous ai entendu, dans la chambre souterraine...

     Le vieil homme hocha simplement la tête, puis tendit le doigt vers la fresque murale. Une pureté immémoriale émanait de son être, accompagnait chacun de ses mouvements.

     Il porta le regard vers ce qu'il lui montrait : un arbre immense, gravé dans le marbre. Serpentant le long du mur, ses arabesques délicates se détachaient de leurs branches pour y former toute une série de noms inscrits en lettres d'or. Certains brillaient et illuminaient la roche qui les entourait. D'autres, plus ternes, semblaient avoir été privés de leur éclat depuis plusieurs millénaires. Une étoile à six bras – qu'il ne reconnut que trop bien –, régnait au cœur du tronc, qu'elle alimentait d'une lueur chaleureuse. Vitale.

     Après plusieurs secondes à contempler la gravure, il se tourna vers son hôte, à la recherche d'une explication. Ce dernier lui indiqua la partie droite de l'arbre, là où des noms, en plus d'être éteints, avaient été sauvagement rayés. Un seul gardait en lui un léger éclat, subsistait par de faibles clignotements.

— L'Opale survit, attend l'éveil de son prince, murmura le vieillard, si bas qu'il ne fut certain d'avoir bien entendu.

— Cet arbre... il représente la lignée d'Adràzyde, n'est-ce pas ? lui demanda-t-il. Les noms les plus anciens, à la sortie du tronc, correspondent aux premières Lumières. Ceux qui brillent à son sommet sont celles qui vivent encore.

     L'homme se contenta de le dévisager sans lui accorder la moindre réponse.

— Qui sont ces personnes ? Celles dont le nom a été effacé ? reprit-il. Concernent-elles la prophétie de Kraskènyd ? Sont-elles encore en vie ? Peuvent-elles nous aider à vaincre Arkalax ?

     L'inconnu demeura immobile, impassible.

— Pourquoi vous m'envoyez dans cet endroit ? finit-il par crier, à deux doigts de perdre le contrôle. Qu'est-ce que vous me voulez ?

— L'Opale survit, attend l'éveil de son prince... répéta l'ancien. Tu as vu ce que tu devais voir, observé ce qui sera en mesure de libérer Ustral. Imprègne-toi de cette image.

— Je ne comprends pas. Dites-m'en plus, s'il vous plaît...

     À ces mots, le vieil homme agrippa son poignet et l'entraîna dans les profondeurs du sanctuaire. Le contact de ses doigts le fit frissonner, mais il se contenta de le suivre en silence.

     Le décor changea petit à petit. Le sol et les murs se mirent à tanguer. Sans comprendre comment, une porte se matérialisa devant lui. Sa main quitta alors celle de son hôte puis, lorsqu'il tourna la tête pour voir où il était, il se rendit compte qu'il avait disparu. Seule sa voix demeurait, flottait dans l'air comme de fines particules de poussière.

— L'Opale survit, attend l'éveil de son prince...

     Titanesque, parsemée de diamants aux reflets irisés, la porte semblait mener tout droit vers Lyréah. Le symbole de l'Exhadràlûm trônait en son centre et régnait sur l'édifice tel un dieu sur son peuple. Un attrait dans sa représentation attisa sa curiosité ; un défaut volontaire que formait l'un des six bras.

— L'Opale survit, attend l'éveil de son prince...

     Intrigué, il fronça les sourcils et s'approcha de la façade, à la recherche d'un indice. Quand il aperçut enfin le diamant manquant, quelque chose lui attrapa la gorge et l'enserra, jusqu'à ce qu'il lui fût impossible de respirer.

     La porte disparut en une fraction de seconde. Sa vision s'obscurcit et la voix résonna dans son esprit, une dernière fois.

— Le syndrome n'est ni un fardeau ni une bénédiction. Vois-le comme un espoir ; comme l'ultime lumière cherchant son chemin à travers l'obscurité.

***

     Noà s'éveilla sous un ciel noir constellé de myriades d'étoiles. L'aube imprégnait lentement le lieu, dissipait les ombres de la plaine sur laquelle ses amis et lui dormaient. Peinant à recouvrer son souffle, il sentait encore la prise sur son cou, la voix du vieil homme résonner dans son être. Malgré les détails de son rêve qui s'estompaient, il revoyait l'arbre généalogique d'Adràzyde gravé dans le marbre du sanctuaire, ainsi que la porte titanesque et l'Exhadràlûm sertie de diamants.

     L'Opale, l'éveil d'un prince, un syndrome représentant un ultime espoir... bien que rien ne lui semblât familier, Noà était persuadé que l'inconnu avait cherché à lui révéler quelque chose ; une information capitale que lui seul détenait.

     Le xomythois entendit un bruit derrière lui, là où se trouvaient les couchages de Töm et Iryanä. Heureux de pouvoir se changer les idées et discuter avec son ami, il se retourna, puis se figea.

     Une expression de terreur peignit ses traits dès lors qu'il la vit. Ses yeux s'exorbitèrent. Sa respiration se bloqua. Noà glissa le plus lentement possible la main gauche sur son rar'kh, tandis que la droite émergeait du duvet, son élément déjà emmagasiné.

     Une créature aux poils rêches et fauve semblable à un félin, dont la queue finissait en un long dard suintant, se tenait juste au-dessus d'Iryanä, prête à piquer.

     Et à tuer.

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Le Conte d'Ustral. Tome 1 ~ L'Oracle du TempsKde žijí příběhy. Začni objevovat