Chapitre 5 [1/2] ~ En quête de Réponses

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     Quelques minutes après leur conversation avec Gréo, les trois élémentaires et la pèlerine furent rejoints par Koryna.

     La faunesse, dont les iris améthyste ne pouvaient trahir la méfiance éprouvée à l'égard de ses hôtes, s'approcha timidement. Elle déposa un plateau en argent garni de boissons et de fruits frais. Contrairement à son mari, aux manières brutes et rustiques, Koryna se déplaçait avec une grâce enivrante. Les cornes ornant son crâne étaient plus petites et plus fines que ses pairs. Les poils de sa robe, eux, de même que sa longue chevelure bouclée, alternaient entre le châtain et le mordoré.

     Noà voyait clairement qu'elle brûlait d'envie de leur poser des questions, mais l'hybride s'abstint et se contenta de tourner les talons une fois sa tâche effectuée.

     Bien qu'il fût indéniablement affamé, l'image de toute cette nourriture provoqua en l'élémentaire un sentiment de dégoût. Son entrevue avec Gréo lui avait coupé l'appétit. Même Azérine, qui, depuis leur fuite dans la forêt de Xomythe, les obligeait sans cesse à s'alimenter, demeurait silencieuse. Elle tenta de montrer l'exemple en prenant un morceau de pälampe du bout des doigts, mais fut incapable de le porter à sa bouche. D'un accord commun, les fugitifs laissèrent ainsi l'assiette métallique intacte et se dirigèrent à l'étage.


     Noà souffrit d'une chaleur accablante, ce soir-là. Lorsque Kétil amena des habits propres et les posa sur le lit de Töm, avec qui il partageait sa chambre, le xomythois se dévêtit et se sentit aussitôt fiévreux. Malgré la fraîcheur de l'air qui s'infiltrait à travers les fenêtres grinçantes de la pièce, des gouttes de sueur perlèrent sur son corps, accompagnées d'une terrible sensation de mal-être.

     Fébrile, Noà passa sa combinaison d'Adzôd entre ses doigts afin de s'assurer qu'il n'avait contracté aucune maladie. Le tissu, troué et imbibé de sang, paraissait toujours aussi glacial au contact de sa peau. Du bout de l'index, il effleura quelque chose à la fois souple et rigide dissimulé dans l'une des poches. Noà enfouit la main à l'intérieur et, quand il ressortit l'objet, un nœud se forma dans sa gorge.

     Le bracelet d'Isach.

     Une vague de tristesse et de désespoir le heurta de plein fouet. Aurora avait ordonné de le lui remettre avant le début du tournoi. Elle lui avait précisé à quel point il était nécessaire qu'il l'ait avec lui. Mais Noà avait oublié... et Isach avait perdu la vie.

     Une atroce culpabilité rongea son âme tandis qu'un flot de question s'immisçait dans son esprit. Son frère aurait-il survécu s'il lui avait rendu son bracelet à temps ? Sa mère et lui seraient-ils toujours à ses côtés s'il n'était pas retourné chercher Aria ?

     Une larme glissa le long de sa joue sans qu'il ne pût la contenir. Une deuxième rejoignit la précédente et toutes deux chutèrent avec légèreté sur la paume de sa main, dans laquelle reposait le filament de cuir. Un premier sanglot se perdit dans les méandres de sa gorge, mais les suivants furent impossibles à retenir. La douleur, vive et ardente, subsistait. Celles qu'il ressentait au nez, ainsi qu'à la cheville, ne s'étaient pas non plus atténuées. De fines aiguilles semblaient transpercer ses membres par milliers. Son esprit restait paralysé sur l'image des nortox dépouillant les cadavres, sur les yeux sans vie d'Isach, sur les ronces traversant le corps frêle de sa mère. À ces uniques souvenirs, les pleurs de Noà s'accentuèrent. Les larmes, de plus en plus abondantes, créèrent des sillons sur ses joues imbibées. Ses plaintes étouffées se changèrent en hoquets irréguliers. Il avait le souffle coupé, la gorge nouée, le cœur fracturé.

     Noà avait tout perdu. Le monde autour de lui s'était figé dès l'instant où il avait repris sa respiration dans la forêt de Xomythe. Chaque mouvement entrait dans son champ de vision avec une lenteur déconcertante. Chaque son perçu semblait provenir d'un univers lointain. L'odeur de sang restait imprégnée en lui. Il sentait encore l'étreinte du guerrier-loup contre sa gorge, la froideur et la raideur des corps sur lesquels il avait trébuché. Il n'arrivait plus à apprécier la fraîcheur du vent, la finesse des draps dans lesquels il s'était blotti. Il ne s'estimait aucunement chanceux d'avoir survécu à cette effroyable journée.

Le Conte d'Ustral. Tome 1 ~ L'Oracle du TempsWhere stories live. Discover now