Visites de courtoisie

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Très tôt, quelques semaines plus tard, alors qu'Akihito prenait ses marques dans le service criminologie du journal, il se rendit au tribunal, histoire de passer le bonjour à une vieille connaissance. Naturellement, il n'était pas là de son propre chef, même si, une bonne part de lui-même y allait de son plein gré. Innocemment en quelque sorte. Son rédacteur-en-chef souhaitait qu'il travaille sur des meurtres en série dans les bas-fonds de Tokyo, alors, c'était avec joie qu'il se rendait au tribunal.

Akihito avait pris rendez-vous à huit heures du matin, montre en main, pile au moment où les portes du tribunal s'ouvraient, c'était effectivement très matinal, mais bon, depuis son prix, on ne lui refusait absolument rien. C'était même un privilège de le voir évoluer sous ses yeux, comme une espèce d'animal de foire. D'accord, il faisait un excellent travail dans son service, et son talent à manager une équipe était salué, pour ne pas dire, loué. Comme si c'était une prouesse énorme de mener une équipe.

Bref, il ne comprendrait jamais pour quelles raisons les gens s'obstinaient à vouloir le côtoyer, ça le gênait vraiment dans son travail, lui qui adorait la tranquillité, c'était raté ! Etre journaliste demandait quand même un minimum de discrétion, non ? Visiblement pour certains, ce n'était pas le cas, l'autre jour, il avait pris un blouson, une casquette et un jean délavé pour une enquête, et on avait ruiné sa couverture en le pointant du doigt. Superbe ! Il avait dû adresser ses plus plates excuses à son supérieur.

Sa cible en avait profité pour s'échapper, une fois de plus, alors, quand il était revenu sur les lieux de son enquête, il avait intégralement changé de visage : il était méconnaissable avec des cheveux noirs, des yeux verts, et des cicatrices qui lui barraient le visage hideusement. Pour un peu, on le prenait pour un grand brûlé. Et il faisait fuir les autres : parfait ! Alors il sortait sa capuche, et se collait à un mur, penchant sa tête afin d'éviter le regard des autres... Que c'était simple de faire fuir les autres : la monstruosité était son meilleur atout.

- Bref, ils sont toujours aussi curieux... Ils vous regarderont toujours avec des yeux ronds comme des billes, pointant le doigt dans votre direction, pour vous montrer, à quel point vous êtes beau ou vraiment horrible à voir...

Le jeune homme monta les marches du tribunal dans son costume flambant neuf de travail, on le dévisageait toujours, on lisait toujours avec ferveur ses articles, on lui envoyait des fleurs, des lettres d'amour, des chocolats... Les gens désiraient l'approcher, mais il disait qu'il était là pour le boulot ! 

- Non, mademoiselle, je suis navré de devoir vous décevoir, ceci dit, c'est un immense plaisir d'être lu, et de recevoir vos cartes.

Il prit congé aussitôt de la jeune fille qui lui collait un peu trop aux basques à son goût, il regrettait l'Américaine qui avait très vite compris qu'il fallait le laisser tranquille. Au moins, l'Américaine avait de bonnes raisons de vouloir le côtoyer. Ils entretenaient une correspondance.

- Elle me manque quand même un peu...

A sa grande joie, il rencontra enfin la secrétaire qui devait le mener à son rendez-vous : elle était superbe. Elle portait un tailleur noir, une chemise blanche, un chignon auquel elle avait accroché des rubans rouges, un rouge à lèvres très élégant... On prétendait que le procureur couchait avec elle, ce qui était entièrement faux, ceci dit, la curiosité d'Akihito avait été piquée au vif quand il avait eu vent de cette rumeur. Kuroda, l'ayant de suite compris, lui fit comprendre en quelques termes que ce n'était qu'une relation de travail...

- Vraiment, avait répondu Akihito.

Kuroda le regarda bien droit dans les yeux :

- Oui, vraiment... Je n'aurais pas le mauvais goût de sortir avec une relation de travail, c'est malpropre.

Dans la tourmenteWhere stories live. Discover now