"Vous partez ce soir..."

11.2K 772 108
                                    

~Rose en média~

-23 mars 1642-

Je suis plongée dans une autre de mes lectures quand la porte s'ouvre doucement. Une tête brune apparaît. C'est Rose. Elle replace une mèche de cheveux et s'assied sur mon lit à côté de moi. Elle me regarde. Elle ne sourit pas. Elle ne bronche pas quand une larme descend le long de sa joue. Puis, lorsque la larme a dévalé tout le long de sa joue, jusqu'à sa machoire, elle l'essuie doucement, de sa manche en dentelle. Je lui prends la main.

- Ne pleurez pas, ça me rend si triste...

- Comme vous voudrez, princesse.

Elle a la voix cassée, elle semble prête à fondre en larmes...

- Pourquoi pleurez-vous ?

- Vous partez...

- Mais vous le saviez depuis tellement longtemps... C'est ma destinée, je n'aurai rien d'autre.

- Je ne peux vous accompagner, madame.

- Comment, cela ? Tu ne veux plus ?

- Le prince Edward de Norvège ordonne que vous y aillez seule.

Edward, c'est donc ce prénom que je vais entendre jusqu'à la fin de mes jours. Mais je manque de m'étrangler en entendant ce qu'elle vient de dire.

- C'est ridicule, je ne vais tout de même pas y aller à pieds !

- Ce seront ses gardes qui iront vous chercher.

- Déjà que je vais vivre dans un pays autre que celui dans lequel j'ai vécu depuis maintenant, je n'ai pas le droit de faire durer mon temps avec vous ?! je commence à sangloter. Mais comment êtes-vous au courant de tout cela ?

- Vos parents m'en ont parlé... Je pars demain.

- Non pas vous, Rose ! Que ferais-je seule dans ce château, sans vous. Non, vraiment c'est décidé, je les en empêcherai !

- Vous ne pourrez pas mademoiselle, rit-elle amèrement. Vous partez ce soir...

Je fonds en larme dans ses bras... Elle referme ses bras dans mon dos et resserre notre étreinte.

- Oh, aidez-moi, Rose, je vous en prie ! C'est affreux ! On m'enlève le jour de mon anniversaire. Je ne pourrai pas... Pourriez-vous me rendre un service ?

- Tout ce que vous désirez, madame.

- Pourriez-vous m'apporter quelques feuilles et une plume. Je vous en serais reconnaissante.

- Bien, je sors.

Je sors de mon lit mais quand je me lève, j'ai un soudain mal de tête. Je tangue... Je devrais prendre l'air, je ne suis pas sortie de la journée. Je vais dans le couloir et croise la Reine. Je baisse les yeux et fais demi-tour. Elle me prend la main, calmement.

- Tu pars ce soir, ma chérie.

- J'avais très bien compris ! dis-je en retirant ma main de son emprise et retourne m'enfermer dans ma chambre.

Rose arrive, quelques minutes plus tard, avec ce que je lui avais demandé.

- Merci, vous pouvez poser ça, là, dis-je en désignant une table basse.

Elle les pose délicatement et attend mes autres consignes.

- Je vous congédie, pour le moment. Faites ce qu'il vous plaît, il ne vous reste plus beaucoup de temps dans ce château.

Elle s'en va, déçue. Peut-être aurait-elle aimé passer plus de temps avec moi. Tant pis... Je lui avais demandé de me rapporter des choses, mais je ne sais pas quoi faire avec. Je voulais juste avoir un peu de temps pour prendre l'air mais décidément, le destin s'acharne contre moi.

Je vais devant la fenêtre et regarde. Dehors, les oiseaux chantent, les grenouilles, et les cigales aussi. Pourquoi nous, les Hommes, sommes devenus ainsi ? Les animaux, eux, n'ont pas tous les problèmes que rencontrent les humains. Quelle tragédie !

Je regarde cette fenêtre où j'ai vu Léon pour la dernière fois... Ça y est, j'ai trouvé ! Je vais lui écrire une lettre pour quand il reviendra. Ce sera très certainement dans longtemps, mais il sera ravi, je pense, d'avoir une enveloppe au-dessus de ma cheminée, lui étant destinée.

Je commence à écrire ma lettre quand une foule de servantes débarque dans ma chambre.

- Qu'est-ce ? Je n'ai rien ordonné ?! dis-je, n'y comprenant rien.

Une d'elle s'avance, elle a l'air toute jeune. Ça me rend triste... Elle se place devant moi, effectue une petite révérence et parle :

- Madame, nous sommes là sur ordre du Roi. On prépare vos malles pour le voyage.

- Ce n'est pas un voyage, je souffle, c'est une mise à mort.

Je me mets dans mon petit salon, accessible depuis ma chambre seulement. Je ne serai pas dérangée par le bruit. Je commence :

" Pour mon très cher Léon,

Si vous lisez cette lettre c'est que je suis partie et que vous êtes revenu... La dernière fois que l'on s'est vus, souvenez-vous en je vous en prie, c'était avant que vous n'ailliez voir votre épouse, dont vous ne m'avez pas donné le nom, d'ailleurs. Vous aviez l'air pressé, donc je n'ai pas voulu vous embarrasser avec mes petites histoires. Je me marie... Comme vous, mais ce n'est pas exactement le même motif. Je vous laisse déduire le mien.

Si je vous fais cette lettre, c'est pour ne pas que vous ayez l'impression que je vous ai abandonné. On n'aura sûrement pas l'occasion de se revoir donc je vais vous faire part de mes sentiments.

Vous avez réellement été là pour moi. Pour me remonter le moral, ou alors quand je n'allais pas bien, vous me prêtiez votre épaule pour que je puisse pleurer dessus... Vous ne saviez pas quel impact vous aviez sur moi, je suivais toutes vos indications... vous étiez l'exemple parfait car mon frère ne remplit pas bien ce rôle, comme vous le savez bien. Je vous confiais d'ailleurs tous mes secrets. Ainsi qu'avec ma soeur, mais c'était moins amusant. Ensemble, nous faisions les 400 coups. Je me rappelle encore du jour où je voulais me venger de mon professeur de musique car il avait dit à mes parents que je ne travaillais jamais alors on était allés lui rendre visite la nuit à son insu ainsi qu'à celle de mes parents et de tout le monde, finalement. On lui avait fait vivre un cauchemar, le pauvre...

Pourquoi est-ce que je parle à l'imparfait ? Car tout simplement cette époque est révolue, aussi triste que cela puisse paraître, nous n'aurons jamais l'occasion de reprendre tout ce que l'on faisait.

Je ne peux, hélas, vous témoigner tout mon amour pour votre personne en une seule lettre, mais j'espère que vous me comprenez. Que dis-je ? Bien sûr que vous me comprenez, vous avez toujours été le seul à comprendre mon désarroi et mes peines et vous êtes le seul avec qui je partageais cette passion pour les livres. On pouvait passer des après-midis à lire ensemble.

Je vous demanderais de ne chercher à me joindre sous aucun prétexte. Ne venez pas me chercher, ce sera vain... Je devrais être fidèle à ma prochaine patrie. Je ne veux aucune confrontation.

Nous serons amenés à nous revoir, j'en suis certaine. Et ce jour-là, je serai la femme la plus heureuse d'Europe ! Il faut juste se fier au destin. Laissez le temps faire son travail. Vous ne penserez bientôt plus à moi, à moins que ce ne soit déjà le cas. Moi, je me contenterai de tous ces souvenirs que l'on s'est forgés. Ils sont gravés dans ma mémoire.

Avec toute mon amitié,

Votre dévouée Eléonore.


Je pose l'enveloppe sur ma cheminée et lâche une petite larme. Une petite larme qui veut dire tant de choses...

Secrets RoyauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant