Épilogue

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Assise au bord de la piscine, une bouteille à la main, je regarde l'eau chlorée onduler doucement. Mes larmes ont séché laissant dans leurs sillons de longues traînées de mascara, cicatrice de mon impuissance. Dire que je me sens triste serait le plus bel euphémisme jamais prononcé. Je ne suis pas triste. Je suis vidée, épuisée, découragée, brisée.

J'ai essayé.
J'ai essayé de vivre avec le poids de leurs morts sur mes épaules.
Au début, je ne me rendais pas compte, tout s'est déroulé si vite.

Louca est parti avec sa femme. Je n'ai plus aucun contact avec lui mais je pense qu'il est heureux là où il est, ce qui est déjà une petite réussite en somme.
Liv et Raphaël sont morts.
Gaïa aussi.
Loïs est parti.

De mon côté, j'ai pris la décision de continuer à vivre. Je ne pouvais décemment insulter leurs sacrifices ainsi, il fallait que je le fasse. Pour eux. J'ai donc repoussé Loïs. Le voir me rappelait mes erreurs, m'empêchait d'oublier leurs morts. 

J'ai quitté la Suisse, j'ai dit à mon père d'aller se faire foutre, j'ai dit à Élise d'aller faire de même, j'ai envoyé promener Eléa et enfin j'ai fini par plaquer l'université.

Tout ça en une journée.

Après, je suis partie pour Paris. Au début, je dois dire que c'était vraiment génial. Les lumières, l'alcool, les fêtes, les nouveaux amis. Car oui, quand il s'agit de s'amuser, les amis apparaissent très vite.

J'ai vécu au jour le jour. J'ai passé la nuit chez des gens dont je ne connaissais rien, dormi sur des bancs publics, bu jusqu'à tomber et me suis persuadée de mon bonheur. Et j'étais heureuse. Pendant ce court laps de temps béni, j'oubliais tout. J'oubliais Raphaël et ses froncement de sourcils, Liv et ses cheveux décolorés, les manières bourrues de Liam et tous les moments passés avec eux. J'oubliais mon père et sa trahison, Gaïa, le vide qui se trouvait en moi depuis sa mort.

Et Loïs.

Car lui me hantait plus que quiconque.

Son regard, sa voix, ses lèvres, tout m'appelait à lui.

Son visage ne voulait pas disparaître.

Et c'est ainsi, qu'après avoir passé les pires semaines de ma vie, je me retrouve ici.

Au bord de la piscine d'un inconnu, une bouteilles qui ne m'appartient pas à la main et ma tête qui semble au bord de l'explosion.

Je retire mes escarpins qui me broient les pieds avec soulagement et refoule mes larmes qui menacent de couler.

Ce n'est pas le moment de pleurer. C'est une belle nuit. Le ciel est décoré par des milliards de diamants qui semblent là pour moi, pour me soutenir. Ce soir j'ai besoin de soutien.

J'étouffe, je suffoque, je me noie.

Des semaines à présent que je me noie. J'ai l'impression de mourir encore et encore chaque matin, chaque heure, chaque minute, chaque seconde. Ce vide est là, il me poursuit comme ma culpabilité.

J'étouffe, où que j'aille je suis écrasée. J'entre doucement dans l'eau gelée. Ce soir c'est ma libération. Je ne souffre plus.

J'immerge doucement ma tête  dans l'eau et laisse mon corps couler comme une pierre au fond de la piscine. L'eau envahit doucement mes poumons, me privant d'air. Je ferme les yeux. Je me sens partir, je sens mon corps lutter alors qu'au fond il sait très bien qu'il est mort depuis bien longtemps. Depuis ce soir-là. Je suis prête à mourir. Cela fait des semaines que je vis sans vivre, que je lutte sans lutter. Je ne peux pas continuer.

Silencieusement, je demande pardon à ceux qui pourraient pleurer ma mort. Je suis désolée, je ne suis pas assez forte.

Alors que mon corps se résigne, un autre me tire vers la surface. Mes yeux s'ouvrent immédiatement et mes poumons expulsent l'eau qu'ils contenaient. On me jette sur le bord de la piscine comme un vulgaire sac et je mets un certain temps à reprendre mes esprits. Intriguée je me tourne vers l'auteur de cette interruption et tombe nez à nez avec un regard que je connais très bien.

- Décidément, j'arrive toujours à te sauver.

Je ne réponds pas à sa provocation et lutte plutôt pour retrouver mon souffle.

- On prend un bain de minuit ?

Je m'extirpe difficilement hors de l'eau et m'assieds au bord de la piscine. Loïs me rejoint, lui aussi, ruisselant.

- Tu pourrais au moins me dire quelque chose. Tu ne te rends pas compte des efforts que j'ai fait pour retrouver tes petites fesses.

- Vas te faire voir.

- C'est un début.

Je me laisse lourdement tomber sur le dos et fais face aux mêmes étoiles qui m'ont dit adieu il y a quelques minutes.

- Tu as tout gâché.

Loïs vient s'allonger à côté de moi et soupire.

- J'en suis bien heureux. Franchement qu'est ce qui t'as pris ?

Comment expliquer à cet imbécile que je n'arrive plus à vivre avec des fantômes.

- Chaque jour est un supplice pour moi. En venant ici, je pensais pouvoir arranger les choses. Je pensais que je pourrais oublier la mort de nos amis et de tous ces gens. Non seulement je n'y suis pas arrivée mais en plus j'ai beau avoir gagné cette stupide bataille contre une déesse vieille de plusieurs siècles, je ne me sens pas victorieuse. Je me sens seule, vide et misérable. Je ne sais plus où aller. J'erre sans aucun but. Ma petite vie toute tracée n'est plus qu'un brouillon et j'ai cru que déchirer ce brouillon me permettrait d'aller mieux.

- Tu es stupide.

Je laisse échapper un long soupir lourd de reproches.

- Toujours aussi doué pour remonter le moral des autres à ce que je vois.

Loïs se lève d'un coup et me tend sa main que j'accepte. Il me relève et pose ses mains sur mes joues et me regarde avec amour.

- Tu peux vivre. Tu peux vivre avec le poids des regrets, le culpabilité, et même celui de la mort d'une déesse. Lizzie, tout ça s'estompera. Le temps te réparera. Le temps répare tout. Il faut juste que la vie revienne à l'intérieur de ces yeux ternes. Il faut juste que quelqu'un les réanime et je te jure que tu y arriveras.

Aussi niaise que soit sa tirade, elle réveille quelque chose en moi. Quelque chose qui était mort depuis bien longtemps.






De l'espoir.

White Out [TERMINÉ]Where stories live. Discover now