C'est là que je vis cette choses assez curieuse : l'ombre enculante se retira de l'ombre enfilée puis - un cauchemar n'arrive jamais seul - se transforma en boule, déploya ses ailes et fondit sur la tête de la victime sans couvre chef. Le sexe toujours turgide, celle-ci tournait sur elle-même, à la façon d'un derviche tourneur qui aurait confondu l'eau et la vodka, agitant les bras comme une Miranda sous acide. J'observais tranquillement ce massacre quand je sentis, sur mon épaule, une main puissante, comme un étau, ravivant mes blessures. C'était Lui. Le monstre, fraichement sorti des toilettes !


« Tu cherches quelque chose, petit ? me demanda-t-il d'une voix caverneuse, tel un ogre s'adressant à un enfant perdu, avant de le dévorer.

- Non, bredouillai-je, peu rassuré, j'allais... partir.

- Tu es sûr que tu ne veux pas rester avec moi ? insista-t-il, d'une voix toujours plus sombre. »


Comment dire non sans vexer un tel colosse alors qu'il vous écrase de sa main calleuse ? Comment dire non sans risquer de provoquer son courroux ? Comment dire non sans... trépasser ?


« Ma copine m'attend, elle... elle va s'inquiéter si je ne reviens pas.

- Dommage, on se serait bien amusé toi et moi. J'aime beaucoup ton odeur. Elle est excitante ! Ta copine... elle a de la chance. Je parie que tu as bon goût. »


Ce type était vraisemblablement malade : comment pouvait-il aimer cet odeur mortifère, mélange de camembert et d'excrément ? Il ne pouvait être que dérangé ! Inquiet, je l'imaginais du genre à s'être échappé d'un asile non loin d'ici le soir même, patrouillant dans la nuit froide et obscure afin de trouver une victime, comme dans un navet échoué dans les tréfonds du box orifice or, j'avais donné dans le nanar : que ce soit le gore, le fantastique, le slasher et j'en passe. Il me semblait avoir tout vécu, l'espace d'une nuit à faire pleurer Catherine Lara. Bref, il n'était pas question de croupir ici ! Je m'apprêtais donc à prendre les jambes à mon cou, bien qu'elles fussent ankylosées, quand une autre main se posa sur moi. Je sentis un corps contre le mien, une chaleur m'envahir tout entier. C'était une sensation particulière ; elle me rassurait et me charmait tout à la fois. C'était Bertrand, Bertrand qui venait me sauver, sans doute heureux d'avoir le ventre plein et les bourses vides :


« Aristide, que fais-tu là ?

- J'étais venu pisser, je m'apprêtais à partir rejoindre Babette quand cet homme m'a abordé.

-Ah, ce cher Sigismond, il fait partie des nôtres lui aussi, tu ne crains rien. Nous sommes parties chasser ensemble.

- Chasser ? (Chasser quoi au juste ? Je n'osais guère formuler la question autrement sans paraître vulgaire).

- Il faut bien se nourrir, si tu vois ce que je veux dire....Tu te demandes peut-être pourquoi ici ? Entre nous, c'est le meilleur spot pour chasser. C'est plus sûr : il fait nuit, l'endroit est abandonné. Personne ne peut entendre les victimes crier... et puis ça permet aussi de se faire plaisir, si tu vois ce que je veux dire... Je te conseille vivement de garder ce tuyau en tête, quand tu deviendras un prédateur. »


Je comprenais tout à fait ce qu'il voulait dire, pour l'avoir vu.


« Tu t'appelles comment, me demanda ce croisement de Hulk et de Shrek dont j'avais déjà oublié le nom aussi insolite qu'immonde et qui, visiblement, ne lâchait pas l'affaire.

- Il s'appelle Aristide et c'est mon pupille, répondit sèchement Bertrand. Pas touche !

- On peut échanger si tu veux.

- Tu sais bien que ce n'est pas possible.

- Tu peux me le prêter quand même et je te prête Sullivan.

- Tu changeras donc jamais. Non, il ne viendra vers toi que s'il en a envie. Je ne prête pas mes garçons.

- Il en aura envie, je te le garantis, me dit-il l'œil torve, qu'il appuya d'un clin d'œil qui me fit froid dans le dos. »


Bertrand n'osa pas objecter quoi que ce soit à ce qui s'apparentait à une menace mais il jeta un regard désapprobateur à cette armoire à glace qui se contentait d'afficher un sourire narquois. Je regrettai soudain d'avoir soulagé ma vessie et retournai vers Babette en prenant soin de m'éclipser non sans politesse, tandis qu'ils se toisaient sans me répondre. Babette, qui en avait profité pour changer la musique au profit d'un hard un poil trop saturé à mon goût, fulmina.


« T'en as mis du temps. T'as dû enlever ton bandage pour chier ?

- Je te remercie de t'inquiéter mais non, d'ailleurs je n'ai pas déféqué de la semaine et toi ?

- Heureuse de le savoir, vraiment ! Je n'ai pas envie de répondre à cette question. Il est temps de reprendre la route. »


Cette fermeté, ce ton glaçant, ne m'enchantait pas ; d'ordinaire Babette n'avait aucun problème à partager avec moi l'état de son côlon. Première fissure dans une amitié quasiment aussi longue que nos vies, et qui n'était pas censé souffrir de l'éternité qui nous était promise ? Au fil des kilomètres, dans le vacarme assourdissant de cette musique stressante, le vrombissement continuel du moteur, s'était installée une ambiance des plus glaciale. Fort heureusement, après trois quarts d'heure, nous arrivâmes aux portes de la bâtisse, splendide en son écrin de verdure moiré, non loin d'une forêt sacrément dense. Comme un air de déjà-vu ! N'était-ce pas... inquiétant ? Un portail aux pics acérés, gardés par une légion de gargouilles aux airs affables, nous séparait de cette dernière étape vers la transformation. Nous étions loin de nous douter que nous finirions exposés, là encore, à la haine véhémente de vampires millénaires. 

Muscat, Dentelle et CrucifixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant