Bled

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Je n'aurais jamais pensé retrouver ma carte d'identité aussi vite dans ce merdier. Après, ce n'est pas plus dégueulasse au toucher qu'un bain de boue, ou que les fesses d'un bébé. Ca puait juste un peu plus ! Après, à la ferme, j'étais souvent confrontée à ces vaches irrespectueuses, limite récalcitrantes, qui pissent à torrent et chient des rivières au moment même où vous passez. Eclaboussures garanties. « Gare aux clapotis », nous prévenaient les fermiers.

Quant à l'odeur des chèvres, elle est tout aussi poétique mais passer outre ces considérations, ce côté répulsif, permet d'accéder au sésame : le fromage. Je commençais d'ailleurs à sentir un manque sévère de caséine. J'espérais -pourquoi pas ? - une collation une fois cette épreuve terminée, histoire de reprendre des forces.

Je fus quand même surprise d'avoir péché ma carte d'identité du premier coup, contrairement à Miranda qui galérait, sortant les cartes des décédés, et les balançant dans le bassin avec des excès de rage plutôt pathétiques. Ezéchiel, à bout, n'a même pas réagi lorsqu'elle l'a nargué - la garce - en lui montrant la sienne, avant de glisser le plastique gondolé entre ses seins manufacturés, et de plonger pour la quatrième fois. Je me suis demandée, une fois en immersion dans le bourbier fatal : et si je trouvais la carte d'Aristide, que devrais-je donc en faire ?

La lui donner, en bonne amie que je suis, ou faire comme Miranda, la jeter, pour évincer toute concurrence, au risque de le perdre à jamais ? Je me suis sentie assez mal à cette idée - et je ne parle même pas de la tasse que j'ai bue - décidant que je ne la lui donnerais pas, non pas parce qu'il ne la méritait pas, mais qu'il fallait qu'il la mérite de lui-même. (La concordance des temps ? Une invention pour les branleurs de langage !) Aristide, j'en suis convaincue, pouvait y arriver. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi il restait planté là, en boxer, devant cette piscine immonde. A attendre quoi, le déluge ?

Si seulement il n'était pas autant dans l'observation et la retenue, ne réfléchissait pas tant... Je le voyais hésiter, le bougre. Il se posait, j'imagine, tout un tas de questions inutiles : quelle va être la prochaine épreuve ? Vais-je réussir ? Est-ce que la dentelle de mes vêtements est souillée à jamais ? Est-ce que mamie va me tuer ? Est-ce que je vais devoir plonger plusieurs fois ? Est-ce que je désire vraiment, au plus profond de moi, devenir un vampire ? Quel est mon film préféré ? Pourquoi n'ai-je pas embrassé Mélanie au bal des pompiers ? Pourquoi l'univers n'a pas de fin ? Pourquoi Babette ne se pose jamais ce genre de questions ?


Derrière lui, Ezéchiel était tétanisé : rien dans le slip finalement ! Ah ces hommes, ça jacte, ça se fait entendre, ça se vante mais finalement il ne suffit pas d'avoir des génitoires de tanuki pour avoir des couilles ! Déception ! Je n'aimais pas trop sa tête de toute façon. Enfin, j'aurais préféré que ce soit lui le troisième larron et non cette gourgandine de Miranda, un peu trop déterminée à mon goût. Elle, je ne pouvais pas la saquer ! Dès le moment où je l'ai vu, j'ai su que je ne m'entendrais jamais avec elle. Je sais qu'il n'est pas sain de juger une personne au premier regard. Que ce n'est pas équitable. Mais on le fait tous. A tort, peut-être, Ezéchiel, par exemple, en est la preuve vivante, de la gouaille et finalement, c'est un petit garçon visiblement traumatisé par les trous noirs. Aristide non plus ne la portait pas dans son cœur : ses yeux tournaient en rond dès qu'elle prenait la parole. Son tic exaspérait tout le monde mais force est de constater qu'il me manquerait si jamais Aristide ne relevait pas le challenge.


« Aristide, lui dis-je alors, c'est pas l'heure de rêver ! »


Aucune réaction.


« Réveillez-vous les gars ! »

Muscat, Dentelle et CrucifixWhere stories live. Discover now