6 | Les cris et les pleurs

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- Salade tomate oignons chef !

Le gros gaillard derrière le comptoir dévisagea Carl avec l'air d'attendre quelque chose de plus.

- Sauce Samouraï.

Le jeune homme brun se retourna et inspira un grand coup l'air chaud et parfumé de la boutique kebab de son quartier. "Ô kebab ! Toi qui..." Il fut interrompu dans ses rêveries par son ami Dexter qui, assis à une petite table au fond du restaurant, lui demanda de venir le rejoindre. Carl fit son chemin parmi les clients, poussant une chaise par ci, un sac par là...

- Que-ce qui t'arrive BobyTheCraintif ?

Dexter Smith, alias BobyTheKiller, avait les yeux rivés sur la tablette qu'il tenait posée sur la table. Ses doigts, appuyés longuement sur un paragraphe de la page qu'il était en train de visiter surlignèrent en bleu les mots qu'il cherchait à mettre en valeur. Il retira alors sa main de l'écran et tourna la tablette vers son pote.

- Regarde toi même. Un hôpital implose, qu'ils disent.

Carl Wallen, plus connu sous le nom de Pug07, le pilote du net, fronça les sourcils et lu plusieurs fois l'article en question.

- Ça date de quand ?

- Ce matin, j'ai vu ça tôt, ça m'a intrigué, peu de joueurs solos font leurs opérations le matin, ou alors c'était programmé à l'avance mais ça serait encore plus étrange.

Pour le jeune geek, le hacking était un jeu comme un autre, et par joueur solo il faisait bien sûr référence aux personnes qui préféraient tracer leur chemin seul dans le vaste labyrinthe qu'est le monde du numérique.

- Pas faux. Tiens là ils disent aussi qu'on a retrouvé aucune trace informatique sur le réseau. La presse, ricana Pug. Ils font vraiment tout pour choper de l'audience.

- Le problème mec, c'est que cette fois ils ont pas totalement tord. Faut que je te dise, avant de venir j'ai pris le temps de faire mes petites recherches sur l'hôpital, l'attaque, et ce qui aurait pu être le virus en question. Seulement... Les systèmes informatiques généraux avaient disparu. Du coup je te raconte pas comment j'ai fait pour retracer un historique du système avant l'attaque. Repérer un des directeurs, pirater son tel pour choper les sauvegardes récentes qu'il avait fait du réseau de l'hôpital. C'était la merde, j'ai du bien y passer dix minutes, imagine. Enfin bon le truc foireux est que malgré les nombreuses sauvegardes très récentes récupérées, je n'ai rien trouvé dessus indiquant la présence d'un virus...

- Ben, c'est peut-être que y a des pauvres mecs qui ont fait une nuit blanche, le matin ils étaient pas bien alors pour se détendre ils ont supprimé les systèmes de l'hôpital et sont partis se coucher. Ça colle non ?

- Non, fit gravement l'autre. Il y a un signe de vie pourtant, très discret, mais qui montre une infiltration de haut niveau dans le réseau. Seulement cette trace date de trois jours. Trois jours c'est long, trois jour que le virus est installé, trois jours que ce putain de virus n'émet aucun signe de vie...

- Là tu m'intéresses mec, là tu tiens un truc, se moqua gentiment Pug.

- Carl je déconne pas. Ce truc là, cette bombe, elle possède limite une cape d'invisibilité. Elle pourrait être dans ma tablette en ce moment même et je ne peux rien faire qu'attendre l'explosion. Tu te rends compte de ce que ça représente ?

Pug restait silencieux. Son ami avait raison. Mais il ne comprenait pourtant pas comment un tel phénomène pouvait avoir lieu. Un cheval de Troie respire, bouge, émet, et reçoit, sinon comment peux-il se déclencher ou même être dirigé? L'inventeur de ce virus fantôme devait être très bon, bien meilleur qu'il ne l'imaginait, et Carl en avait peur. Ce n'était pas inhabituel pour un gars de sa profession, cependant le sentiment qui l'habitait ne ressemblait pas aux frayeurs passagères qui le traversaient lorsqu'il risquait grandement de se faire prendre, mais plutôt à une étrange horreur encore inconnue. L'attaque de l'hôpital semblait représenter bien plus qu'elle n'en laissait paraître, et pour la première fois de toute son existence, Pug07 ne savoura pas totalement le kebab qui lui fut servi ce jour là.

***

Monsieur Ronecher n'avait pas eu une seule seconde de repos aujourd'hui. Tantôt essayant de prévenir les autorités de la cyber attaque de sa clinique, tantôt essayant de coordonner les mesures d'urgence et tenter de sauver le plus de vies possible, Monsieur Ronecher était dans un état second. Depuis ce matin, sept patients étaient morts sans que personne ne puisse leur venir en aide; les appareils électriques connectés étant beaucoup trop présents dans l'hôpital. Cependant, malgré l'agitation des infirmières autour de lui et la tension présente depuis dix heures du matin, le directeur s'était tout de même posé la question : Qui pouvait bien en vouloir à une petite clinique comme la sienne ?

Il fut interpellé par quelqu'un, criant dans le couloir bondé. Rangeant immédiatement son téléphone dans la poche de sa blouse, il s'élança vers la jeune femme alors parcourue de longs tremblements effrayants. En courant, ils traversèrent la foule de gens affolés occupés à s'égosiller et demander de l'aide. Le spectacle était horrifiant et monsieur Ronecher ne se souvint pas de toute sa carrière avoir vécu un tel cauchemar. Au bout du couloir, il vit la jeune femme disparaître par une porte ouverte, accéléra, et se précipita dans la chambre de Vincent Raverdy, déjà suffocant. Le pacemaker dernière génération, connecté au réseau, s'était arrêté depuis très précisément sept heures et trente-deux minutes, et lorsque monsieur Ronecher déboulant dans la pièce, aperçu le jeune ado presque inconscient, il devina avec horreur que le pauvre n'en avait plus pour longtemps.

Les cris et les alarmes résonnant tout autour de lui, monsieur Ronecher sentit sa vue se troubler, et les sons qui lui parvenaient diminuèrent soudainement comme happés par une force mystérieuse. Alors que tout devenait noir et silencieux, monsieur Ronecher réalisa que ses muscles ne le portaient plus, et avant qu'il n'ai eu le temps de s'en interdire il s'effondra impuissant sur le sol de la chambre.

Sophie vit avec stupeur son dernier espoir s'affaisser lentement près du lit de son frère. Elle voulu se remettre a crier, à implorer le ciel pour que le courant revienne et que son frère continue de vivre, mais sa mère la prit brusquement dans ses bras et Sophie s'écroula en sanglots. "Quelqu'un...", souffla Sophie, "que quelqu'un vienne... S'il vous plait". Elle sentait au plus profond de ses entrailles tandis que les hoquets de son frère se faisaient plus faibles et plus rares, une lente douleur la déchirer de toutes parts. Son père était à genoux près du lit. Tenant la main de son fils de toutes ses forces, il continuait de lui parler, des larmes lui coulant sur les joues. Et Vincent lui, suffoquait, inlassablement, jusqu'à ce que la nuit vienne le prendre.

Sophie, les yeux rivés sur son frère mourant crut lire sur ses lèvres quelque derniers mots, des mots qu'elle ne comprit pas, des mots pour lesquels elle aurait donné le peu qu'il lui restait. On lui avait prit son petit frère à cause d'une de panne de courant. Que pouvait-il lui arriver de pire? Tremblante de la tête au pieds, elle mit du temps à retrouver l'usage de la parole. Son petit frère n'était plus. À quoi bon vivre après cela... A quoi bon continuer si la vie pouvait décidait si injustement de la notre ... Sophie pensa au jardin de son enfance, à son ancienne maison, et au bébé Vincent, le plus beau bébé du monde. Ses yeux se fermèrent, et elle sombra profondément dans le monde des rêves, un monde merveilleux dans lequel les morts peuvent encore parler.

NIRVANA [ EN PAUSE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant