16 - Vieil Ami.

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Cela devait faire deux bonnes semaines depuis le départ d'Aleister... Je me sentais de plus en plus étouffer dans nos appartements, ma vie n'était que routine : thé, discussions inintéressantes, chasses, promenades dans des jardins que je connais désormais par cœur et parfois, jeux et danses. Mais tout cela me paraissait fade sans la présence de mon mari bien aimé pour éclairer ses activités. Ils m'envoyaient des lettres que je lisais et relisais autant que je le pouvais jusqu'à ce que je n'aie plus assez de bougies pour m'éclairer, jusqu'à ce que mes yeux ne puissent plus produire de larmes, jusqu'à ce que mon cœur se serre et que je me sente suffoquer.

J'avais besoin de quitter Versailles, mais où aller ? Pas Belfort... je ne pouvais risquer de rater le retour d'Aleister ne serait-ce que de quelques heures. Partir pour la journée, mais partir où ? Paris en ce moment n'était pas prudent pour les nobles, j'avais entendu de nombreux récits d'aristocrates dont les carrosses étaient renversés et pillés, certains n'en revenaient pas. Je pense que le peuple a ces raisons, on dit qu'il est affamé et avec l'hiver qui approche, la peur et la colère montent.

Je ne connaissais que peu de lieux à Paris, le parfumeur, quelques couturiers ou vendeurs de tissus et un atelier de sculpteurs. Là où travaille Thomas Regnaudin il me semble... je pourrais lui rendre visite. Ou même acheter une sculpture en guise de... remerciement. Peut-être qu'il ne souhaite plus jamais me revoir. Après tout il comptait me séduire et je suis mariée, d'ailleurs rendre visite seule à un tel homme en tant que femme établie n'est pas très recommandable, mais cela n'est pas ma principale inquiétude. Et s'il me repoussait ? Après tout je lui avais dit de rester loin de moi, je l'avais envoyé paître il y a presque un an comme s'il n'était qu'un vulgaire malpropre. Je me devais de réparer cela.

- Gemma?
- Oui madame?
- Préparez-vous, nous partons pour Paris.
- Dois-je porter une tenue plus appropriée?
- Prenez donc une de mes robes de campagne.
- Mais madame...
- Pas de mais, dépêchez-vous!

Je n'avais jamais remercié Gemma non plus. Je savais que je lui laissais plus de libertés que la plupart des dames de la Cour mais je ne devais pas non plus être facile à vivre tous les jours. Elle mit une vingtaine de minutes à se préparer avec l'aide d'une autre domestique. Elle avait pris la robe la plus sobre que je possédais, violette foncée presque noire à longues manches, un nœud bleu pâle serrant seulement la taille. Nous avons toutes deux revêtu un manteau de fourrure avant de quitter Versailles dans la plus grande discrétion et avons été conduites à l'atelier de Thomas par un cocher personnel de mon mari.

Mes mains étaient moites quand nous sommes descendues de la voiture. Je suis restée quelques temps à contempler la devanture sans oser y pénétrer. C'est Gemma qui m'a poussé à y entrer en prenant l'initiative d'avancer de quelques pas. De nombreuses statues étaient exposées dans tous les coins regroupées par nature, bronze, marbre blanc, bois ou même argile et autres terres. Un vieil homme est rapidement venu à notre encontre, nous devions faire tâche dans ce décor. Il s'inclina devant nous en retirant son chapeau et nous proposé de nous asseoir.

- Ce ne sera pas nécessaire, ne vous dérangez pas. J'aimerais seulement savoir si Thomas Regnaudin se trouve ici.
- Oh oui bien sûr qu'il est ici madame. J'peux aller vous l'chercher tout de suite même mais il sera pas en bon état, il se salit rapidement quand il travaille. Qui dois-je annoncer ?
- Dites-lui seulement que sa Vénus l'attend...

Et le vieil homme s'éclipsa en s'inclinant à nouveau. J'observais un peu plus attentivement ce qui m'entourait. Quelques hommes étaient sortis de ce qui semblait être une réserve attirés sûrement par les intruses ayant pénétrer dans leur entre. Il y en avait deux qui ne devaient pas dépasser les vingt ans tandis que les autres avaient la quarantaine, leurs chemises entrouvertes et fronts transpirants témoignaient de la difficulté de leur tâche.

Je fus interrompue dans mon inspection par la silhouette de Thomas qui se rapprochait de moi. Je m'inclinais légèrement et il vint me baiser la main.

- Je n'y croyais plus madame, j'avais cru avoir perdu vos faveurs pour de bon.
- J'en suis navrée monsieur, je me suis comportée comme une enfant.
- Et moi comme un goujat, nous sommes quittes. Suivez-moi mesdames, je vais nous trouver un endroit plus adapté à une conversation.

Il nous conduisit dans ce qui semblait être un bureau et nous fit asseoir. Je ne savais pas quoi dire, c'est seulement maintenant que je me rendais compte que j'ignorais la raison de ma visite.

- J'ai entendu dire que le Roi envoyait des hommes aux Pays-Bas... Votre mari en ferait-il partit ?
- Malheureusement oui. Il est parti il y a quelques semaines.
- On parle de mission d'espionnage, les risques sont moindres. Et puis un homme comme votre mari s'en sortira grâce à son esprit et sa naturelle condition.
- Rien ne vous oblige à prétendre que vous l'appréciez.
- Il vous rend heureuse alors je me dois de lui reconnaître quelques qualités. J'imagine que la jalousie finit par s'estomper. Mais vous ne me présentez donc pas ?
- Oh excusez-moi, Gemma voici Thomas Regnaudin, Thomas voici Gemma une de mes dames.
- Madame, dit-il en s'inclinant. La beauté de bien des femmes serait effacée à côté de celle de votre maîtresse mais je dois vous avouer que vous resplendissez...

Il était beau parleur, il se débrouillait pour faire deux compliments à la fois sans rabaisser la beauté d'aucune de nous deux. Gemma avait des cheveux châtains ayant de magnifiques reflets au soleil, ses yeux étaient marrons et sa peau plutôt pâle. Elle aurait fait beaucoup de jalouses si elle était de plus haute naissance malheureusement j'imagine que tout le monde ne naît pas dans un berceau en or massif.
Gemma se contenta de baisser la tête là où moi j'aurais rougi comme une enfant. Je voyais très bien ce que faisais Thomas, après tout il n'était pas marié et Gemma non plus. Je lui demanderais quand nous serons rentrée s'il lui plaît ou si peut-être elle a déjà un amant. En réalité comme je suis sa maîtresse elle ne peut se marier sans mon autorisation et il est courant que les nobles donnent leur servante à marier comme remerciement à des personnes de statut inférieur.

- Je travaille en ce moment-même la peinture. Vous feriez toutes les deux de magnifiques madones, quoi qu'après tout ce temps vous ayez toujours cet air ingénu et innocent qui conviendrait mieux Constance.
- Une Vénus ne peut devenir une madone.
- L'art est une autre vision des choses vous savez...
Je suis navré de ne pouvoir rien vous offrir de plus qu'un fauteuil inconfortable.
- Ne vous inquiétez pas pour nous. Prévoyez-vous une visite à la Cour dans les prochains jours?
- Si vous m'y invitez, j'en serais ravi.
- Je vous invite avec joie dans ce cas.

Un sourire malicieux se plaça sur son visage. Il était toujours le premier homme pour qui j'avais éprouvé de l'amitié. J'appréciais le fait que, contrairement au Roi, il s'avoue vaincu et renonce à tenter des actions de séduction désespérée. Je n'avais pas besoin d'amant mais un bon ami serait le bienvenu.

- Vous pouvez me rendre visite quand vous le souhaitez, vous avez aujourd'hui éclairé ma journée. Je vous montrerais avec plaisir la magnificence de l'art de France.
- J'y penserais... à bientôt Thomas.

Il a baisé ma main puis celle de Gemma et nous a raccompagnées jusqu'à la sortie où nous attendait notre voiture depuis presque une heure maintenant. Le retour à Versailles se fit dans le silence le plus complet. Je ne pouvais effacer le sourire qui trônait sur mon visage. Cette visite m'avait rendue presque nostalgique de l'époque où il suffisait que je patauge dans des lacs à moitié nue pour m'amuser. Selon Thomas j'avais gardé mon innocence et ingénuité pour j'avais la désagréable impression de me l'être fait arrachée.

Constance...Where stories live. Discover now