18 - Quelle Vie...

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Cela fait deux mois désormais qu'Aleister est reparti pour les Pays-Bas. Il m'écrit des lettres toutes les semaines, j'en ai donc reçu huit pour l'instant me parlant de son apprentissage du néerlandais, qu'il me promettait de m'apprendre à son retour. Ses lettres me redonnent espoir malgré les rumeurs circulant à la Cour. La Marquise a été exilée de la Cour, je l'ai appris quelques semaines après les questions qu'était venu me poser le lieutenant de police. Elle est accusée d'avoir empoisonné l'ancienne favorite en titre, la demoiselle de Fontanges faites duchesse par le Roi qui souhaitait « remercier pour ses services » la pauvre mourante. On parle d'hémorragies, je ne sais rien de plus, à part qu'elle se serait retirée dans une abbaye pour y mourir, quelle dignité.

Elle n'est pas encore auprès du seigneur mais le duc du Maine m'assure que cela ne saurait tarder. Je m'ennuie énormément, Isabelle et Elizabeth viennent parfois me tenir compagnie pour boire le thé. Nous discutons bien sûr mais j'ai sans cesse l'esprit ailleurs, espérant que les promesses de mon mari ne soient pas seulement du vent.
Tout me paraît fade désormais. Je me languis de mon amour, sa voix suave, son accent britannique, ses lèvres contre les miennes et ses mains caressant mon corps avec tant de douceur et délicatesse. Adam est rentré dans la garde personnelle de Monsieur, il s'inquiète de mon état, il pense que je me laisse mourir mais j'ai seulement moins d'appétit. Ce soir c'est la troisième fois qu'il m'invite chez le duc d'Orléans et j'apprécie de plus en plus la compagnie de cet homme étrangement divertissant.

J'avais rencontré le chevalier de Lorraine, un bel homme assez extravagant mais plutôt divertissant. Je pouvais comprendre ce que tous ces hommes lui trouvaient d'un certain côté, on ne pouvait nier qu'il était charmant. Le duc et lui avaient une relation assez compliquée, ils tentaient tous les deux de se dominer l'un l'autre. Le duc ne paraissait pas jaloux, même lorsque le chevalier parlait du comte de Vermandois ou de mon frère. Je savais qu'il n'osait compter fleurette à Adam parce que j'étais présente et je lui en étais reconnaissante. Pas parce qu'ils sont deux hommes, je m'y étais habituée, seulement parce qu'Adam est mon frère et que j'ai toujours peur qu'on le blesse.

- Vous êtes-vous déjà rendue Madame à une représentation de la Comédie Française ? Ils ont ouvert leur porte l'année dernière et ils continuent d'y jouer les pièces de ce défunt Molière. Il était à la Cour une sorte de fou du Roi des plus sympathiques, extravagants et créatifs.
- Non Monsieur jamais, j'en ai déjà lu mais jamais assisté.
- Et bien figurez-vous que j'y possède une loge, nous pourrions nous y rendre, votre frère et quelques uns de mes amis.
- Bien sûr, j'en serais enchantée.
- Parfait, j'enverrais quelqu'un vous chercher dans quelques jours.

L'idée m'attirait beaucoup, les quelques pièces que j'avais déjà découvertes étaient très drôles et cela pourrait me détendre. Le repas se clôtura avec la dégustation de chocolats au balcon de l'appartement de Monsieur avec une vue magnifique sur le coucher du soleil. On apercevait déjà quelques étoiles. Ce spectacle aurait été bien plus beau si Aleister avait été à mes côtés. Cette pensée me serra le cœur, ajoutée à la beauté du paysage j'en aurais presque pleuré.
Adam insista pour m'accompagner à mes appartements, Bontemps nous y attendait, le dos droit et le visage tendu à côté de la porte. Je l'invitais à entrer tandis qu'Adam nous suivait.

- Madame, j'ai tenu à venir moi-même vous annoncer cette tragique nouvelle. Le 13 juin, Aleister Chamber, vicomte de Druitt, comte de Belfort, votre mari a été retrouvé mort assassiné à Bruxelles au cours de sa mission d'espionnage pour la couronne de France.
Je vous présente mes sincères condoléances. J'en suis navré.

Je crus que mon monde s'effondrait autour de moi. Il ne pouvait être mort, j'avais reçu sa dernière lettre la veille !
Je sentis mon cœur se serrer et mes genoux se dérober sous moi. J'avais l'impression de m'être fait poignarder en pleine poitrine, qu'on m'avait arraché mes poumons, ma respiration se faisait difficile et je haletais en essayant de comprendre les mots de Bontemps. Les mains d'Adam vinrent me soutenir et il me colla contre lui, me serra entre ses bras. Les larmes coulaient en silence contre mes joues. J'étais totalement désemparée. Le roi... tout ça était de sa faute !!! Mes poings se serrèrent et je frappais le torse de mon frère contre moi. Ce n'était pas possible ! Il n'avait pas pu me faire ça ! Il avait promis de me parler toutes les langues qu'il avait entendu ! Il ne pouvait mourir de cette façon, quatre mois à peine après notre mariage ! Je ne portais même pas d'héritier, je n'aurais aucun souvenir de lui ! Sa voix, ses cheveux, sa moustache, ses mains, ses touchers... Mes yeux me brûlaient, mes poings encore plus, mes ongles s'étaient plantés dans ma paume mais je ne pouvais me détendre. Qu'avais-je donc fait au seigneur pour mériter cela ? Je perdais l'amour de ma vie, que dis-je la chance de ma vie ! J'avais l'impression qu'on m'avait tiré un canon dans la poitrine, qu'un trou béant s'y trouvait et qu'il ne pourrait jamais être comblé. Tout ce que j'arrivais à articuler c'était "Non! Non! Non!!".

Le plus triste dans tout cela était sûrement que je finirais par l'oublier, oublier peu à peu ses traits... Parce que tout ce que j'avais pour me souvenir de lui était un médiocre portrait qui ne reflétait pas le quart de sa beauté, de son éclat et son charme naturelle quand il parlait. J'oublierais tout ce qui le rendait si parfait à mes yeux, son humanité, la vie qui émanait de lui.

Je sentis Adam me tirer jusqu'à mon lit et m'aider à retirer mes vêtements. Je me laissais faire. J'avais des milliers de questions en tête qui me paraissaient plus importantes : Que deviendrais-je sans lui ? Que ferais-je ? Où vivrais-je ? Serais-je capable d'aimer un jour à nouveau ? Mon cœur resterait-il à moitié vide sans ma raison de vivre ? Serais-je capable de reprendre ma vie de courtisane insouciante comme si rien n'était jamais arrivé ?
Une fois en chemise, Adam me mit dans mon lit et se glissa à mes côtés pour me prendre dans ses bras. J'avais besoin de sa chaleur, j'avais besoin qu'il me rappelle que quelqu'un d'autre m'aimait et tenait à moi et que je ne pouvais me permettre de rejoindre mon mari.

- Ça ira mieux, avec le temps..., murmura-t-il à mon oreille comme s'il entendait tout ce flot de questions et de détresse en moi.

Je finis par m'endormir dans mon désespoir. Mes yeux collaient et brûlaient, j'aurais sûrement le nez bouché, les joues rouges et les yeux gonflés le lendemain mais je n'en avais rien faire puisque plus personne ne me verrait à partir du lendemain. Je partais pour Belfort.

Je me réveillais le lendemain, bien décidée à quitter l'ambiance malsaine de la Cour. Adam s'occupa de tout même s'il rechignait à l'idée de me laisser. Par peur que je dépérisse, il prévoyait de me rendre visite à chaque fin de semaine. Des domestiques étant déjà présents à Belfort, sous les ordres d'Aleister, je n'eus qu'à prendre Gemma avec moi dans la voiture et je pus enfin quitter le puits de manigances et perfidie qu'était la Cour.


Je perdis rapidement le fil du temps, je passais mon temps à errer dans notre magnifique jardin, il était délicieusement colorée et le parfum des fleurs me faisait oublier ma tristesse et mon ennui. Je m'étais achetée deux juments à la robe noire rapides et puissantes, j'espérais bien faire de longues balades dans le domaine et la forêt limitrophe et je savais que mon frère avait ordonné aux domestiques de ne me laisser seule sous aucun prétexte.

Il avait peur que je mette fin à mes jours parce que je n'avais plus vraiment de raisons d'être là. Plus de raisons à part lui, il était la seule personne qui m'attachait à cette Terre. Je ne voulais pas lui faire subir la perte d'un être cher, comme je l'avais moi-même vécue. Mon frère avait été adorable avec moi, je ne pouvais lui faire ça. Il était là pour me rendre heureuse après tout, et je ne désirais pas non plus qu'il y échoue. 

Adam était venu me rendre huit fois visite alors j'imagine que cela faisait deux mois lorsque j'ai rencontré un étrange homme. Il était endormi dans mon jardin et il était très beau dans son sommeil, je me sentis coupable d'avoir pensé ça par rapport à Aleister à peine deux mois après sa mort. Seulement j'ai finis par le réveiller pour savoir ce qu'il faisait dans mon jardin.

- Vous êtes madame la femme d'Aleister Chamber, vicomte de Druitt ?
- Oui, je l'étais, pourquoi... qui êtes-vous ?
- Je m'appelle Harry, j'étais un de ses amis et je suis poursuivi. Il m'avait beaucoup parlé de vous alors j'ai pensé trouver refuge ici pour la nuit... ou plus peut-être... Constance c'est cela ?
- Oui... et bien, entrez, ne restez pas là vous allez attraper la mort.

Constance...Where stories live. Discover now