Chapitre 5 : Avant ( 4/5 )

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Désolée pour le retard pris sur mon récit. Voici donc le chapitre tant attendu, j'espère qu'il vous plaira !

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Le déchirement des familles laisse place à un silence de deuil. Les esprits se referment sur eux-mêmes, et je suis poussée avec les autres.

Les allemands nous font asseoir sur le sol boueux, trois par trois, tandis que les autres restent derrière, la mine apeurée.
Je passe dans les premiers.

Un jeune nazi, la casquette d'officier bien droite, griffonne des noms sur un registre tandis qu'il passe entre les rangs.

Mon nom. Ce sera la dernière fois que je le verrai, écrit noir sur blanc.

Subitement, on me tire en arrière par mes cheveux déjà bien raccourcis. Je manque de pousser une exclamation, mais me retient juste à temps.

Un collaborateur tient bien fermement son arme contre lui et me regarde en plissant les yeux.
Je m'oblige à serrer les dents tandis que la tondeuse effleure ma nuque.

Les cheveux tombent en amas de flocons sur le sol déjà parsemé de cendres. Ils ne sont pas les seuls à tomber.

Je ferme les yeux, m'abandonnant aux gestes fermes mais calculateurs de la tondeuse qui parcoure mon crâne.

Ensuite, je laisse ma place à une autre femme, les joues creuses, ses magnifiques cheveux longs et ondulés malheureusement éphémères.
Je reste subjuguée par sa beauté, ce petit quelque chose de soigneux et brillant qui lui reste, mais qui commence à couler le long de son épaule gauche, puis finit son chemin dans les graviers.

Très vite, nous sommes de nouveaux debout. Les cheveux rasés forment une espèce de dune près du mur barbelé.
Autour de moi, je peux deviner mon reflet à travers les femmes et les hommes au visage à présent si semblables.
Je dois être affreuse.

-Aïe !

Je suis debout, à moitié nue, le bras gauche tendu. Dans le petit atelier sombre, le fer chaud coule le long du bois, cela sent la sciure, le bois chauffé, et la peau brûlée.
Un Allemand s'affaire à sceller le numéro sur mon bras gauche.
Il ressemble à un bison, avec sa moustache repoussante et ses yeux bouffis, sa peau flasque formant des petites rides en-dessous du menton. Ça me dégoute.

Il me dégoute.

Lorsque j'ai lâché mon mot de douleur, il m'a regardé d'un tel air que j'ai cru qu'il allait me couper la langue. Je crois bien qu'il l'aurait fait si un de ses compagnons n'était pas arrivé, un mourrant sous le bras, demandant nonchalamment ce qu'il fallait en faire.

Le bison lui répond que rien ne sert d'user une balle pour lui.
Ils le laissent donc souffrir sur le plancher, jusqu'à ce que la mort vienne le chercher.

Le pauvre malheureux a les mains violettes, la peau tendue contre ses os.
Quand je passe près de lui pour sortir, le mourrant tourne les yeux vers moi et, avec les dernières forces qu'il lui reste, me prend la main.

Je sais que j'aurais dû lui dire : que tout serait bientôt fini. J'aurais dû le rassurer.

Mais là, quand j'ai senti sa main rèche, ses doigts malades contre les miens, quand j'ai vu ses yeux humides et vitreux, je n'ai pu que reculer. Et détourner le regard.
Est-ce du dégoût ?
Oui, sûrement.

Soulevant le tissu collé par la sueur, j'aperçois ma peau du bras gauche. Le tatouage est encré à vie. Ça y'est je n'ai plus de nom. On ne sait plus qui je suis, seulement :
"415824"

Je suis un animal, un objet.

Telle une poupée de chiffon obéissant aux gestes de la petite fille qui la possède, je suis le mouvement.

Je me rappelle avoir descendu des escaliers étroits.
Les chuchotements inquiétants ont recommencé, je me suis sentie vraiment seule à ce moment-là. Les autres se tiennent la main, unis contre la terreur.

Est-ce vrai ? Nous sommes descendus du côté de la cheminée ?

Il fait noir, je ne vois plus rien. À l'arrière, les gardes sont tout sauf apaisants.
Les escaliers continuent, encore et encore dans les boyaux des profondeurs de la Terre. Aucune ouverture, aucun échappatoire.

J'arrive dans un espèce de vestiaire gigantesque. Les autres devant moi ne savent pas quoi faire, attendent des ordres.

J'observe leur effroi commun.
Bientôt, nous nous déshabillons sans aucune pudeur.
Sur le côté du vestiaire, il y a une porte. Pas celle d'où nous venons, non. Celle où nous allons.

Quand je vivais encore avec mes parents, mes frères et mes soeurs, des rumeurs couraient sur cette fameuse et mystérieuse porte. On nous racontaient des choses terrifiantes, différentes.

Cela a un rapport avec un gaz. Je ne connais pas son nom, mais on raconte qu'il est dévastateur.
Je me mets à me demander si je préfère cette façon radicale. Je vais perdre la vie dans l'ignorance la plus totale. Personne ne va savoir comment, ni pourquoi.
Ma famille ne le saura peut-être jamais. Gabriel non plus.

C'est ça qui me fait le plus mal.
Voilà pourquoi je dois survivre.

En une minute, mes pieds nus m'entraînent à contrecœur vers la porte. Quel que soit la grandeur de la salle derrière, jamais nous ne tiendrons tous à l'intérieur.

Les chuchotements s'arrêtent nets, tandis que nous passons le seuil. Je remarque que nos vêtements, nos bijoux laissés dans le vestiaire sont jetés dans des bacs terreux. Les souvenirs matériels de chaque personne sont oubliés.

Soudain, il y a de l'agitation. Un homme a essayé de garder son alliance de mariage en l'avalant discrètement. Sur le coup, tout le monde croit qu'il a réussi son coup.

Cependant, les yeux d'un garde sont devenus perçants. En un clin d'œil, une insulte en allemand est lancée.
Il tire l'homme en arrière, le force à recracher la bague déjà passée depuis longtemps le long de l'oesophage.

Quand il se rend compte que cela est trop tard, le jeune marié est poussé au sol et roué de coup. Le sang écarlate s'étale bientôt sur le sol des vestiaires.

L'homme pousse un dernier cri. Au même moment, la porte se referme dans un claquement.

Combien de temps me reste-t-il à vivre ?

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Bonjour à tous !
Cela me ferait très plaisir d'avoir votre avis sur ce chapitre !

D'ailleurs, est-ce qu'il est à la hauteur de vos attentes ?

415824Où les histoires vivent. Découvrez maintenant