Chapitre 29 : Après ( 1/2 )

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Tic, tac.

Je fixe inlassablement la pendule blanche de l'hôpital parisien, cet objet d'une utilité complexe qui me dépasse. Je n'avais pas revu une aussi belle technologie depuis bientôt cinq ans.

Résignée.
L'engrenage enclenché.
Isolée.

Je suis restée exclue de la société, et par la société, pendant quatre longues années.

Attendre encore un jour. Juste un.
Il faut me convaincre que c'est le dernier et croire au futur, car il ne peut être que meilleur.

Depuis un bon mois, j'enchaîne les séances de réalimention par perfusion. Ma rééducation douloureuse porte petit à petit ses fruits. L'infirmière qui s'occupe de mon étage m'enfonce pour la troisième fois consécutive son aiguille dangereusement volumineuse dans l'épaule. Cette semaine, elle n'a cessé de répéter que nous avons, de toute façon, gagné cette guerre, et que dans quelques jours tous les Français brandiraient le drapeau tricolore depuis leur balcon.

Prise dans son élan, elle m'assure que je suis tirée d'affaire et que je sortirais bientôt de l'institut médical.

Quel optimisme...

Aujourd'hui, en observant d'un oeil torve les rayons du soleil filtrés par l'horloge en face de mon lit, je pense pour la première fois, depuis un mois, à ma famille.

Qu'est-elle devenue ?

En posant la question au personnel médical, j'ai peur d'apprendre la vérité.

Ce matin, le médecin est venu. D'après lui, je suis hospitalisée en périphérie de Paris, à seulement quelques kilomètres de mon ancien appartement familial.

Se pourrait-il que mes parents, frères et soeurs habitent toujours là-bas ? Non, impossible. Ils ont dû aller se réfugier en Angleterre, comme mon père l'avait initialement prévu.

Ou alors...

Ou alors, ils sont...

Non.
Je n'ai pas le droit de penser négatif, je me le suis promis.


Vite, faire dériver mon imagination.

Vite, tourner la tête.

Mon regard reposé se pose sur les feuilles, placées en une pile bien propre sur ma table de nuit. Ces papiers sont le dernier souvenir qu'il me reste.

Je ne reverrai plus jamais Huguette. Cette dernière a été transféré à Lyon dans un état critique. Mais je ne m'inquiète pas pour elle, je sais qu'elle y survivra.

Elle est tenace, la bougre.
Elle a toujours survécu.

Tic, tac.

À contre-coeur, je dois reconnaître que l'infirmière utopiste avait raison.

Je suis sortie par la grande porte dorée de l'hôpital, à peine deux semaines plus tard, comme le médecin l'avait prévu.

Je suis dehors.

Seule.

Je suis simplement moi.

415824Où les histoires vivent. Découvrez maintenant