Chapitre 3 : Avant ( 2/5 )

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J'ai cru d'abord que mon destin était celui de mourir. Mais ce n'était pas cela, malheureusement.

La souffrance m'attendait.

Dans un coin de la cellule, je pense encore à mon sort. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici. Je ne ressens plus rien, je suis dans une sorte de transe continue. Ils veulent que je devienne folle.

Ils me prennent comme un animal, me tire telle une âme sans corps pour la retenir. Je ne suis que là pour faire disparaitre leur ignorance. Tous les moyens sont bons pour me retenir de la mort, ainsi que m'y emmener jusqu'à ce que je cède.

Ils veulent savoir.

Je ne veux pas décrire la salle où je me trouve. C'est trop. À peine quelques mots, et je m'en rappelle. Il ne faut pas. De toute façon, je suis dans l'obscurité. il ne sert à rien de reconnaitre. Il y a des choses ici qui vont me rendre inhumaine. Le monde me tient par le bout d'un fil. Je ne sais plus ce que je dis, je ne sais plus ce que je fais.

Les paroles qu'ils prononcent s'inscrivent dans mon crâne. Je ne souhaite pas les retranscrire ici. Tout ce que que je ressens est à travers ces mots lancés avec dédain. Il n'y a pas de dialogues, car le dialogue prouve que je suis vivante.

Si je ne parle pas, ils vont tuer mes parents, mes frères et ma soeur. Et le pire, c'est que ça ne me fait rien.
Si je me souviens bien, mes parents sont partis en France libre dans un petit village inconnu du monde. Ce petit village deviendra le symbole de la violence et de la sauvagerie de la guerre. Mais ce sera plus tard. Bien plus tard. Gabriel aussi, ce sera plus tard.

Pourquoi pas moi ?

Des cordes, une planche en bois, quatre roues. Des instruments plus imaginatifs les uns que les autres.

La peur.
L'effroi.
La pétrification.
Et l'horreur.

Tant de mots pour décrire l'esprit. Tant de mots, et pourtant aucun n'est assez fort.

Encore une fois, je me retiens. La deuxième fois, c'est difficile. Les phrases sont tellement faciles à prononcer, à quoi bon se retenir ?
A quoi bon ?

Gabriel.

Alors je ne dis rien, je garde tout à l'intérieur de moi. Pour lui et pour la France.

Ils m'ont frappé. Violemment.

Troisième fois. je n'en ai plus pour longtemps. Ça va aller, ça va aller. Si je meurs, tout ira bien. Dans certaines circonstances, il est plus facile de mourir que de vivre.

La première goutte tombe sur le béton du sol, là où ils m'ont poussé tout à l'heure.
Encore une. De mon nez, de ma bouche, de toutes la partie de mon visage.

Je suis défigurée par les coups et le sang.

Le sang.

Assez pour me faire parler, pas assez pour me tuer. Voilà leur stratagème.

Je m'écroule, ils me relèvent. Encore et encore. Pas de notion de temps. Pendant des heures ? Ou plus ? Pas de notion de temps.

La scène est implicite. Moi-même je ne sais pas ce qui m'arrive. Ils ont tout essayé, j'ai tenu. Dois-je être fière ?

Non, je me suis trompée. Ils recommencent.

Le doute exerce bien des choses. Ils l'ont installé, et j'y aie cru. Pourtant, je suis suspicieuse. Mais là, j'ai senti venir la mort certaine. Et bien non. Tout ne s'arrêtera pas. Pas maintenant.

Ce sont des Français ? Ils appartiennent donc à l'infâme collaboration, c'est à dire l'acceptation d'un monde injuste et déshumanisant.

Torturée jusqu'à en perdre la raison. Mais je ne parlerai pas.

Furieux, les hommes sans visage m'ont laissé seule avec ma douleur. Je suis retournée dans la petite cellule noire, celle où il y a sur la murs des traces des anciens prisonniers. Ils ont écrits avec des pierres, avec leur chair, mais surtout avec leur coeur : "gardons espoir".

Mais quel était le prix à payer pour cet espoir ? Il est cher de nos jours.

Mes yeux demeurent ouverts dans l'obscurité, sur la plafond qui avait déjà vu la mort maintes fois. J'ai du mal à le voir, car mon oeil est à moitié enflé. Et je ne parle même pas de mes jambes. Mon sang coagule près de mes genoux.

J'entends des pleurs de l'autre côté de la cellule, mais aussi des bruits de pas. Ces bruits me terrorisent.
Ils ont pris un courageux. Un autre ami.

Mais le courageux n'a pas tenu. J'ai entendu les collaborateurs l'interroger à leur façon, et il leur a répondu par peur de souffrance. Pas de la sienne : celle des autres.

Je le comprends un peu. Lui aussi a une famille. Peut-être l'a t'il fondé lui-même : il a une femme, qu'il aime plus que tout au monde. L'univers peut donc courir à sa perte.

Au final, il ne servait plus à rien de le garder, selon les ennemis. Le prisonnier inconnu est mort sur le plancher, devant la porte de ma cellule. J'ai entendu plusieurs coups tirés, ainsi qu'un enième cri. Et puis le silence. Qu'était-il advenu de sa famille par la suite, je n'en savais rien.

Puis ça a été mon tour. Non pas de mourir, mais de changer de voie. La pire voie que l'on puisse imaginer : les camps de concentration, suivie de l'extermination instantanée. L'horreur pure et simple.

Impossible de survivre , tout simplement. Il y a quelque chose de rassurant à ça.

Il a fallu m'y emmener directement. rien de plus simple. Les wagons à bestiaux étaient là. En plus, je restais juive de naissance, raison de plus pour m'y emmener, si on peut appeler ça une raison.

Même les collaborateurs ne méritent pas la haine acharnée que nous avons tous vécu là-bas. La suite, je l'ai déjà raconté : le voyage dans le train est épouvantable, et ce n'est que le début.
Nous sommes rentrés dans le présent, la petite fille lunatique des années 1900 n'existe plus. Elle a quitté mon esprit espérant, mon coeur heureux.

Je n'ai plus rien qui m'appartienne. Tout. On va tout m'enlever. Ce que j'aime, les gens que j'aime. Les ennemis décréteront que nous n'avons plus besoin de ça. Eux, ils profiteront d'une dent en or, d'une bague de fiancaille.

Oui. Le pire est à venir.

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Ce chapitre est assez sombre...
Comment trouvez-vous les paroles d'Ève ? Les trouvez-vous sincères ?

Donnez-moi votre avis, s'il vous plait ! Ça me fait toujours extrêmement plaisir !

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