SPEED (Terminé) Tome 1

Chapitre 33

En ouvrant la portière, la lumière du plafonnier s'allume pour éclairer l'intérieur. Le tableau de bord semble poussiéreux. La voiture semble être garée là depuis quelques semaines, je l'ai déjà remarquée auparavant en passant dans la rue en skate. Je m'assois aussitôt dans le siège conducteur au tissu sombre de la petite 208 rouge. Un arbre magique à la vanille, pendu au rétroviseur, parfume l'habitacle. D'une pichenette, je le fais tourner.

Une impulsion soudaine me pousse à tourner la clef dans le contact. J'agis sans réfléchir à ce que je fais, poussé par les vapeurs de l'alcool et des pétards que j'ai fumés. Pour mon plus grand bonheur, le moteur ronfle. Il n'est pas très puissant mais les quelques coups d'accélérateur, que je donne, bourdonnent intensément.

Aucun signe de vie ne provient de la villa, malgré l'engueulade qu'est en train de m'administrer mon pote Jimmy.

— Speed, sors de là !

Il tente de m'extirper du véhicule et tire sur mon sweat trempé mais il en faut davantage pour me faire changer d'avis. Jim est un froussard qui craint son père et il s'inquiète donc des conséquences que notre petite virée pourrait avoir. Alors pour le convaincre, je m'adresse à mon autre pote. Dylan est bien plus téméraire. Sa famille de gitans n'est pas vraiment du genre à lui faire la morale. Chez eux, il n'y a pas de balance. Quoi qu'ils fassent, ils se couvrent toujours les uns les autres. Il est assis dans un fauteuil de jardin, à nous observer nous chamailler sous la pluie, quand je l'interpelle :

— Dylan, viens, on va faire un tour !

— Tu sais pas conduire ! se moque Jimmy. Laisse cette voiture !

— Viens, je te montre ! Tu sais bien que chez moi, on conduit tôt !

Je les invite à prendre place sur les sièges passagers en continuant d'ignorer les protestations de mon ami. Je vis dans un trou paumé. Dès mon plus jeune âge, j'ai tenu un volant, d'abord sur les genoux de mon père puis, sitôt que j'ai pu atteindre les pédales, en tant que conducteur. Depuis que mon père s'est fait retirer son permis, on se démerde comme on peut, avec les voisins. D'ailleurs, mon père lui-même, nous propose régulièrement à mes frères et à moi de faire "tourner la voiture". J'adore négocier avec lui le nettoyage qui implique de passer l'aspirateur à l'intérieur et de me rendre au lavoir du village pour astiquer l'extérieur. J'en profite et je fais toujours des détours pour m'y rendre.

— Mouais, sors de là ! Tu vas encore avoir des ennuis.

— Dylan, viens !

J'invite mon pote à monter et à participer à ma folie pendant que j'ouvre la boîte à gants pour en regarder le contenu... Je fouille dans le noir les espaces de rangements de la voiture. Ma main tombe sur un paquet de Mentos menthe forte. Je le jette sur Jimmy qui le saisit au vol.

— C'est bon, on y va maintenant, Speed ! continue-t-il, appuyé sur la portière qu'il m'empêche de fermer.

— Non ! Dylan, on va juste faire un petit tour, je t'attends !

— Ok, finit-il par céder en s'installant à l'arrière.

— Oh putain les gars, vous me faites quoi ?

Jimmy panique en nous voyant tous les deux motivés pour une petite expédition. Il comprend à mon attitude que, quoi qu'il fasse, j'ai décidé d'utiliser ce véhicule qui ne m'appartient pas. Il sait que lorsque j'ai une idée en tête, personne ne peut me la retirer.

— Tu montes ou pas ? je lâche en guise de dernier avertissement alors que je fais ronfler le moteur.

— Si on se fait choper, jamais je vous reparle, à tous les deux !

Il finit par craquer et fait le tour de la voiture pour s'installer devant, à côté de moi.

— C'est bon, t'inquiète, on se fait juste le tour du pâté de maisons ! On est à l'abri et au chaud.

Je sors mon sweat pour le faire sécher en l'étalant sur le tableau de bord, puis tranquillement, je passe la première vitesse pour avancer.

— T'allumes pas les phares ? s'affole Jimmy.

— D'abord, je sors discrètement du jardin !

— Discrètement ? Avec tout le raffut qu'a foutu Jimmy, s'il y avait eu quelqu'un dans la maison, il y a longtemps qu'il aurait contacté les flics ! explose de rire Dylan.

Il est totalement détendu et il s'allume une clope. Les rues calmes et sombres sont faiblement éclairées par les lampadaires. J'actionne les essuie-glaces. Je roule doucement au départ, histoire de me faire la main sur cette nouvelle caisse. Le moteur gueule un peu trop fort et je comprends vite que je dois changer de vitesse... En avant pour la seconde ! J'atteins à peine les 40 km/h et j'enclenche enfin les phares pour éclairer la route. D'un coup, la perspective du paysage est meilleure. Les immeubles défilent sur les côtés et le front de mer se dessinent à l'horizon.

— Va faire le tour du rond-point, pour voir les vagues, me propose Jimmy qui commence à déballer son attirail pour se rouler un pétard.

— Ok ! j'acquiesce en tournant à droite vers l'océan.

J'entrouvre ma fenêtre car Jimmy nous asphyxie avec la fumée de son joint et je me gare le long du trottoir, au bord de l'océan, face à l'immensité déchaînée. Nous restons là un moment, à contempler les vagues se casser sur le sable.

— Oh, putain les gars, y a un pauvre chien sous la flotte ! nous fait remarquer Dylan en désignant un cabot qui rentre la tête et la queue en errant sur la route.

— Appelle-le ! je lui dis.

— Et ça fera quoi de plus, si on l'appelle ? Je connais même pas son nom !

— Gipsy, je gueule au Pointer blanc et noir, en ouvrant ma porte. Gipsy, viens-là mon chien !

— Laisse-le ! râle Jimmy qui me voit caresser le chien.

Le pauvre animal est trempé et il tremble sous la pluie battante.

— Elle a froid, la pauvre bête !

Je me précipite pour lui ouvrir la portière arrière et faire monter le chien sur le siège à côté de Dylan.

— Viens me voir, Gispy ! le flatte aussitôt Dylan.

Jimmy allume le plafonnier et se tourne pour regarder derrière en demandant inquiet :

— Mais vous le connaissez, ce chien ?

— Non, pourquoi ? je l'interroge, étonné par la question de mon pote. Comment je pourrais connaître ce clébard errant sous la pluie ?

— Tu l'appelles Gipsy et il vient ! fait remarquer Jimmy, dubitatif.

— Les chiens répondent toujours aux noms courts et ils m'aiment !

— Tu veux en faire quoi, de ce djoukel ? Tu vas le garder ? m'interroge Dylan en regardant le chien qui vient de poser sa tête sur sa cuisse.

Il le caresse pour le sécher un peu. Mon chien le regarde chaleureusement.

— Ouais ! J'aime trop les chiens !

— Mais il est peut-être à quelqu'un ! s'oppose Jimmy.

— Plus maintenant, il est à moi !

Et lorsque je croise le regard reconnaissant et affectueux de mon nouvel ami trempé, ça ne fait que renforcer ma décision de le garder. Je redémarre la voiture alors que Jimmy jette son pétard par la fenêtre et attache sa ceinture. Je passe la seconde, avec l'envie soudaine de tester le moteur de la voiture ; j'appuie à fond sur l'accélérateur pour faire trois fois le tour du rond-point...

— Oh, Speed, calme-toi ! Tu nous fais quoi ? se met à gueuler Jimmy qui s'accroche à la poignée de sa portière.

— YOUHOU ! Enfin de l'action !

Dylan attache sa ceinture et se cramponne à mon chien alors que les pneus crissent sur la route.