Chapitre I, Partie 1: Le commencement

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Minuit.

J'ai encore fait un cauchemar. J'allume la lumière, seule dans ma chambre. Je sors un carnet de ma table de chevet. Après chaque cauchemar, je griffonne quelque chose dans un carnet comme celui-ci, c'est une manière d'oublier et de passer à autre chose. Je vide toutes ces mauvaises images dans ce carnet. Je dois en avoir une dizaine comme celui là, une couverture banale et des dessins effrayants à l'intérieur. Autant d'images que les psys, et même moi ne comprennent pas. Qui le pourrait de toute façon?

Héloïse Ferrux, 22 ans, fille d'un ancien médecin, étudiante en arts, une vie parfaite, un avenir organisé, des amis en or, un petit ami fantastique, mais pourtant un déséquilibre mental bien évident.

       Tout cela a commencé en maternelle, je me rappelle que les autres faisaient de magnifiques dessins, très colorés, où leurs familles se tenaient la main, heureux, où le ciel était bleu, et où le soleil brillait de mille feux. Mais les miens n'ont jamais été comme ça. Ils étaient sombres, des gens y pleuraient, y mouraient. Des formes abstraites, malveillantes se formaient sur le papier.

Pour moi c'était normal, c'était ce que je voyais dans ma petite tête. C'est bien d'ailleurs ce que j'ai dit au psy que mes parents m'ont fait consulter. Ils avaient peur, ils avaient vu mes dessins et toutes ces choses si inhabituelles que les autres enfants ne faisaient pas. Ils se demandaient bien ce qu'ils avaient fait de mal et pourquoi leur fille ne faisait pas de beaux dessins joyeux comme les autres. Alors mon père, grand «scientifique» qu'il est, a décidé que j'avais un problème psychologique et qu'il fallait consulter. A vrai dire, moi je lui aurais tout raconté ce soir-là. J'avais besoin de me confier. Alors que ce vieux monsieur grisonnant qui me demandait ce que je voyais ne m'inspirait aucune confiance. C'est pourtant cet homme qui m'a donnée l'idée des carnets, il avait dit que ça pouvait me soulager et c'est en effet ce qu'il s'est passé. Je n'ai quasiment rien dit, mais j'ai pris le carnet. Je crois même que c'est ce qui l'a poussé à ne rien dire à mes parents.

Je quitte ma chambre à pas de loup et traverse mon salon pour rejoindre la salle de bains, que je partage avec ma colocataire. La chambre d'Élise est juste à côté de la salle de bains mais elle a le sommeil lourd, donc je ne pense pas que le bruit de l'eau la réveillera. Je ferme la porte et retire mes vêtements trempés par ma sueur avant de tourner le robinet d'eau chaude. La tuyauterie crache un petit peu avant de déverser de l'eau glacée qui se réchauffe après quelques minutes. Je me glisse sous le jet d'eau et savoure cet instant de paix et de solitude. Je n'en aurai pas d'autre au cours de la journée et celui-ci ne va pas durer longtemps si je veux garder de l'eau chaude pour Élise.

Je coupe donc l'eau à contre-coeur et sors de la douche. Je regrette rapidement sa chaleur apaisante, et m'enveloppe rapidement dans une serviette de bain. Je traverse à nouveau le salon pour rejoindre ma chambre et m'habiller d'un jean et d'un pull simple que j'enfile en vitesse. Je sors une nouvelle fois de ma chambre et m'approche de la chambre d'Élise. Doucement, je tourne sa poignée de porte et me faufile à l'intérieur. Plusieurs violons sont accrochées sur le mur et ses vêtements sont répandus en petits tas dans toute la pièce.

Typiquement Élise.

J'avance doucement vers son lit et m'arrête quelques minutes pour observer le magnifique visage d'Élise écrasé sur son matelas. Un léger filet de bave sort de sa bouche et je trouve que ça vraiment dommage de ne pas l'immortaliser. Le plus délicatement possible, j'attrape son portable posé sur sa commode et je fais un gros plan sur sa tête. Je prends la photo et me l'envoie par SMS en ricanant comme une petite collégienne. Quand je relève la tête, Elise me regarde avec des yeux exhorbités.

- Héloïse Anne Noé Ferrux...

C'est à ce moment précis.

Que j'ai compris.

Qu'il fallait que je coure. Vite.

Je jette son portable sur le lit et cours en direction du salon, Elise sur mes talons. Je dois atteindre la salle de bains avant elle, c'est mon unique chance de survie. J'attrape la bombe de chantilly posée sur notre table basse et lui balance pour la faire tomber. Elle l'attrape en plein vol, et je glisse sur ce qui ressemble à une chaussette verte à pois jaunes. Elise me tombe dessus et j'ai beau me débattre, je n'arrive pas à la renverser. Elle ouvre la chantilly et la secoue, un sourire mauvais au visage.

- Non, Elise, non... j'effacerai la photo!

- Tu le mérites, Héloïse...

- Tu peux encore faire marche arrière..

- C'est trop tard.

Elle appuie sur le siphon, et j'ai juste le temps de fermer les yeux avant qu'une avalanche de chantilly ne déferle sur mon visage et mes cheveux roux. Un fois qu' Elise a fini de m'humilier, j'essuie doucement la crème qui recouvre mes yeux et les ouvre pour observer mon amie qui se relève dans le plus grand des calmes.

Mon pull est foutu. Mon jean est foutu. Ma dignité aussi.

Et on ne parle pas de mes cheveux, évidemment.

Je me relève et fais tomber un peu de chantilly sur le parquet déjà dégueulasse. Je ne prends pas le temps de ramasser et fonce dans la salle de bains. Je crois qu'une autre douche s'impose.

Après avoir pris ma douche, séché mes cheveux, et m'être habillée, je me dirige maintenant vers la cuisine dans le but de manger comme un truie jusqu'à ce que notre taxi arrive. Je sors donc le pot de pâte à tartiner, prends une cuillère et commence à manger. C'est alors que j'entends quelqu'un frapper à la porte. Notre fameux taxi. Le taxi... A savoir Maxime, mon copain depuis bien longtemps. J'essuie la trace de pâte à tartiner sur le plan de travail en vitesse et rejoins les autres dans le salon. Je dépose un rapide baiser sur les lèvres de Max et attrape mon sac.

Nous sortons de l'appartement, et je ferme la porte pendant que les autres appellent l'ascenseur. En me retournant, je rentre dans le petit vieux aigri qui habite en face de chez nous. Il me jette un regard noir et retourne chez lui sans un bonjour.

Définitivement, il m'adore.

Nous descendons en vitesse et montons tous dans la voiture de Max. Je me place à l'avant avec lui alors que ma très chère colocataire s'installe à l'arrière. Le trajet se déroule dans le silence le plus complet et les dix minutes de route semblent durer des heures. Pourtant, je me rappelle que j'ai choisi cet appartement pour son emplacement si avantageux par rapport à mon université. Dix minutes en voiture, vingt à pied, quinze en courant. Oui, j'avais déjà prévu d'être en retard.

La voiture s'immobilise enfin et nous descendons, j'ai étrangement l'impression d'être observée depuis ce matin... Je ne sais si je peux en parler à Max. Je ne voudrais pas l'inquiéter.. Ou qu'il me prenne pour une cinglée.

White Out [TERMINÉ]Where stories live. Discover now