64. Le sens de l'histoire

Depuis le début
                                    

Iruka Hidan ne l'avait pas vu venir, pourtant, iel n'avait jamais été autant heureuse depuis qu'iel s'était découverte une cause politique. Cause qui avait le pouvoir de planter une épine, voire plusieurs, dans le pied doré des grands dirigeants de la LDA roulant dans leurs berline hydrogène rutilantes, comme dans ceux de Biodynamics, même engeance partageant les mêmes cocktails.

Iel accueillit avec surprise la grenade fumigène qui roula à ses pieds. Elle lui aurait explosé en pleine figure s'iel n'avait pas eu le réflexe de se retourner. Le gaz l'asphyxia, l'empêcha de voir et de parler ; iel cracha ses poumons comme un nouveau-né.

Iel entendit le brouhaha des gens qui essayaient de s'enfuir, pour être cueillis à la sortie par le BIS. L'attaque du centre de Biodynamics, élevée au rang d'événement mythologique, avait disparu derrière les circonvolutions d'une enquête trop complexe pour signifier quoi que ce soit. Selon ce dont il avait besoin, le BIS se tournait tantôt vers les Élus, tantôt vers les éléments les plus « radicaux » de la LDA.

Iruka Hidan, sur les lieux au moment des faits, avait une cible rouge peinte dans le dos. Les accusations fusaient régulièrement, étayées par une verve savante ; le public jouait son rôle habituel de girouette, confiant dans son impression constante d'avoir prédit à l'avance des changements de coupable décidés sur le tard par les magouilleurs du BIS.


***


« Comment est-ce que je vous ai rencontré, déjà ? se hasarda Carlsson.

— On vous a parlé de moi, sans doute.

— Ah, j'y suis. C'est cela. Je ne peux même pas vous en parler, en fait. Vous ne me croiriez pas.

— Eh bien n'en parlons plus.

Basil Thompson versa un peu de thé dans la tasse que tenait l'ancien agent du BIS. Il avait pris vingt ans depuis qu'il avait quitté l'agence « pour raisons de santé ». Ses mains tremblantes, son teint cireux, tout indiquait qu'il ne lui restait plus qu'un an à vivre.

— Je ne pensais pas, dit Basil, que qui que ce soit était au courant de mes recherches.

— Je vous l'ai déjà dit, c'est vraiment par hasard que j'ai été mis au courant. »

Carlsson se laissa un peu aller. Il n'avait jamais été assis dans un fauteuil aussi confortable. La propriété de Thompson, quoique décorée de manière assez sobre, ne faisait pas illusion. Elle dégoulinait de richesse facile. Son propriétaire en était conscient, et par sa façon neutre de s'habiller, il essayait de détourner ses interlocuteurs plus modestes de ces meubles hors de prix, de ces glaces rétro, de ces tables épurées dont chacune valait deux ans de salaire moyen.

« Le BIS est déjà au courant de l'existence d'autres mondes. Quand vous roulez votre bosse un peu partout dans l'agence, ça finit par se deviner. Certaines cellules sont spécialement affectées à ce genre de questions. Mais vous, vous étiez sur un dossier particulier, n'est-ce pas ?

Carlsson sourit, dévoilant ses dents, tant ses lèvres étaient fines et la peau de son visage décharné translucide.

— Deux noms, dit Basil en soutenant son regard.

— Diel et Raven.

— Où avez-vous entendu ces noms ? Au BIS ?

— J'ai rêvé du sens de l'histoire, numa Thompson. J'ai appris, au cours de ce rêve, que Diel était un catalyseur, et Raven un accomplissement.

— C'est aussi ce que j'ai entendu dire, mais nous n'en saurons pas plus, n'est-ce pas ?

— Seuls les okranes sont concernés par cette histoire, nous n'en serons que de simples spectateurs. Vous, je veux dire. Revenons au sujet qui nous préoccupe.

Carlsson reposa la tasse de thé, manquant de la faire tomber, et serra les dents.

— J'ai consacré ma vie au BIS et je ne mourrai pas sans avoir fait plonger les criminels qui sont à sa tête.

Basil Thompson le gratifia d'un regard grave, et indiqua :

— Juger les anciens Élus qui se sont installés au BIS et ont dynamité Novum...

— ... et procédé au massacre du centre des ventes de Londres...

— ... ce n'est pas la priorité, insista-t-il. La priorité est de leur lier les mains. Aucune justice ne peut condamner efficacement Abi Pommel et son secrétaire général, mais la presse peut les discréditer. C'est comme ça que cela fonctionne. Aucun scandale ne les enverra en prison, mais cela peut les obliger à démissionner. Il s'avère que j'ai parmi mes connaissances quelques personnes qui voudraient bien prendre leur place.

— On peut ébruiter l'affaire du centre de Londres ?

— Non, dit catégoriquement Basil. C'est déjà trop vieux. Les dossiers sont classés. En revanche, le BIS a mené des opérations contre certaines branches de la LDA récemment. Avec l'aide de journalistes fouineurs, on trouvera certainement du grain à moudre. »

Ils n'avaient pas assez de preuves, et Carlsson avait trop souffert. Là était la raison. Cet homme méritait de finir sa vie dans le calme ; pas en première ligne d'une bataille médiatique perdue d'avance.


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Où va le monde, je vous le demande ?

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant